La création du ministère en charge de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel est l’innovation majeure du dernier remaniement ministériel. Les acteurs sont heureux « d’une telle considération » et s’attendent à des initiatives fortes qui organiseront le secteur, leur faciliteront l’accès au financement et leur accorderont une « place de choix » dans les commandes publiques de l’État.

Le célèbre bâtiment du marché Sandaga n’est pas l’attraction du jour. Les gens qui rôdent autour n’y prêtent pas une grande attention. En cette matinée de lundi, les priorités sont ailleurs. Petits commerçants ambulants, tabliers et vendeurs à la sauvette sont plus préoccupés par la recherche du gain quotidien. Ils sont à l’œuvre à tous les coins de rue. Les étals, disposés aux portes des grands magasins, rétrécissent la chaussée et installent un autre cadre bruyant et grouillant. Les uns criant sur les mégaphones font la promotion de leurs marchandises, les autres se servent de slogans incitatifs pour accrocher, attirer l’attention de la clientèle. Chaussures, sacs, tenues de ville sont proposés, dans la plus grande courtoisie, aux passants par des hommes, des femmes et même des enfants.

Traces de sueur sur les joues, Ibrahima Gaye réajuste son béret de couleur noire pour échapper aux piquants rayons solaires. Plusieurs chemises sont suspendues à son épaule gauche. Celle de droite supporte des pantalons en jean ou en tissu fin. Originaire de Lambaye, ce bonhomme de 38 ans n’est affilié à aucune association de commerçants. Collé à l’actualité, il est au courant du nouveau département ministériel chargé de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel. Propos sérieux, doigt constamment agité, Ibrahima estime que la création de ce ministère peut être considérée comme une marque de considération pour les gens du secteur informel. « Les commerçants, tailleurs, mécaniciens, entre autres acteurs, sont, enfin, considérés comme des citoyens et se sentent interpellés par la marche du pays », dit-il. À l’en croire, « il faudra un travail colossal pour que le poids de ce secteur désorganisé se ressente sur l’économie nationale ».

À 9 heures 37 minutes, l’ambiance monte. Le commerce bat son plein. Les parents, venus faire des emplettes pour la rentrée des classes, sont constamment interceptés. Après avoir vendu des fournitures à l’un d’entre eux, Meïssa Ndao déplie les billets de banque qu’il place minutieusement dans un portefeuille noir. L’une des informations les plus importantes du remaniement ministériel du 1er novembre a été, selon lui, la nomination d’un ministre de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel. Cela démontre, dit-il, une attention particulière de l’État aux acteurs du secteur informel. « Vu le poids du secteur, cela devait se faire depuis le début des années 2000. Nous saluons l’initiative du Chef de l’État. Mieux vaut tard que jamais. Nous espérons que le ministre pourra sauver un secteur affecté par la précarité, un manque d’organisation et une concurrence déloyale. Tout est informel chez nous. Nous n’avons même plus de regroupement », explique Meïssa.

Relever les défis d’organisation et de l’accès aux financements

Le nouveau ministre Pape Amadou Ndiaye est très attendu sur le terrain. L’une des principales préoccupations est l’accessibilité des autorités dans la mesure où, dit Alassane Wade, il se posait parfois un problème d’interlocuteur. Plusieurs sachets de sous-vêtements et culottes en main, le longiligne jeune homme se faufile entre les véhicules. De temps en temps, il s’arrête pour aborder ou suivre les pas des passants afin de vendre les produits à sa disposition. « Durant la Covid-19, nous avons souffert. Nous ne savions pas où donner de la tête entre le ministère du Commerce et des Petites et moyennes entreprises et le ministère de l’Emploi », regrette-t-il d’une voix forte. Son ami Ousmane Diack saisit la balle au rebond. Élégant dans son boubou gris, l’homme, à la moustache poivre sel, a fini d’exposer des robes, pantalons, tee-shirts et petites tenues de séduction sur une porte d’un magasin. Son satisfecit envers le Chef de l’État est grand, ses attentes immenses. Elles concernent particulièrement l’accès au financement. « Les forces du secteur informel sont éparpillées alors que son poids est énorme. Je m’attends plus à la mise en place de groupements d’intérêt économique ou d’unités de production. Dans ce cas, tailleurs, petits commerçants, mécaniciens et artisans pourront, chacun de son coté, accéder facilement aux financements avec l’accompagnement du ministère », propose Ousmane.

Concentré sur le nettoyage de plusieurs paires de chaussures, le vendeur s’attend également à la mise en place de directions ou de divisions « prenant, par exemple, en charge les difficultés des marchands ambulants ».

En débardeur rouge qui met en évidence des biceps saillants, Pape Malick Kane traine un ballot d’habits. Le jeune homme considère qu’il incombe d’abord aux acteurs de s’organiser. « Nous nous bousculons devant les portes des magasins en courant le risque d’être chassés à tout moment. C’est l’occasion de nous structurer, de nous unir pour bénéficier d’un meilleur accompagnement. Notre regroupement a été dissout à cause des querelles internes », diagnostique-t-il.

Caressant sa barbe depuis l’entame des discussions, Amath Mbaye intervient et déplore cette absence de synergie. « C’est chacun pour soi, Dieu pour tous, alors que c’est en étant organisé qu’on pourra relever les défis liés aux financements et avoir le soutien de l’État », indique le commerçant riche d’une dizaine d’années d’expériences dans le secteur informel.

Demba DIENG

————————————————————————————————————

Favoriser la compétitivité

La matinée est calme au village artisanal de Soumbédioune. Très peu de mouvements et quasiment pas de discussions ou de marchandages entre vendeurs et touristes. Seul dans une boutique égayée par la synchronie chromatique des masques, pagnes, paniers, colliers et bracelets disposés sur les étagères, Moustapha Bathily met en valeur ses talents artistiques. Muni d’une petite guitare, il compose des notes musicales. Passionné d’art, l’artisan a choisi cette stratégie pour accueillir et aborder les touristes. Ces visiteurs qui se font rares depuis le début de la pandémie, dit-il. D’où les fortes attentes à l’endroit du nouveau ministre de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel qui, selon lui, aura la lourde tâche de relever « un secteur en difficulté ».

Emmitouflé dans un ensemble traditionnel bleu, Moustapha devine déjà la feuille de route de la tutelle. « L’État, c’est la continuité. Il devra continuer le programme d’assistance financier des acteurs de l’artisanat. La plupart d’entre nous n’ont rien reçu et nous peinons à joindre les deux bouts », plaide-t-il.

Le couteau sur du cuir enrobant le bois, Boubacar Diko conçoit un coffre. Tantôt il redimensionne avec une scie, tantôt il raccorde avec de la colle. De jolis produits finis sont bien rangés dans un coin. La plupart ont une forme rectangulaire et sont fermés par des ceintures à crochet. Sa doléance est la commercialisation des produits locaux sur le marché national. À l’en croire, le ministre fraîchement installé, en partenariat avec les acteurs, devra booster le projet du mobilier national. « La concurrence étrangère nous tue. La priorité est de favoriser le consommer local afin d’autonomiser les acteurs de l’artisanat et toute l’économie informelle ».

Les vitrines de sa boutique affichent des robes en lin ou en pagne tissé, des costumes traditionnels pour hommes. Aminata est dans l’attente d’un potentiel client. Lasse, elle n’hésite pas à faire le premier pas. « Il faut au moins acheter quelque chose pour que je puisse déjeuner », raille-t-elle de très bonne humeur. À côté de l’aide destiné aux artisans, elle attend de l’autorité l’accompagnement dans l’accès aux financements, la préférence nationale et une plus grande organisation.

À Fann Hock, des menuisiers locaux proposent leurs produits. Ce sont, en grande partie, des lits et des armoires exposés tout le long de la murette du canal 4. Depuis neuf ans, Pathé Mbengue en a fait son gagne-pain. Inquiet de la concurrence des meubles importés, il interpelle, lui aussi, le ministère de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel sur le projet de mobilier national « censé les propulser au-devant de la scène ». « L’expertise et le savoir-faire sont là. Accompagnés sur le plan de l’organisation et l’accès aux financements, nous pourrons rivaliser avec la concurrence », dit-il. Des préoccupations déjà sur la table du tout nouveau ministre.

…………………………………………………………………………………………………………….

ISSA DIЀYE, PRÉSIDENT DE L’UNION NATIONALE DES CHAMBRES DE MÉTIERS 

« Nous travaillons pour regrouper les acteurs en cellules communales, départementales… »

Le président de l’Union nationale des chambres de métiers du Sénégal, Issa Dièye, se félicite de la création d’un ministère en charge de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel. Pour lui, il s’agit de la satisfaction d’une vieille doléance. Cette nouvelle orientation va, à son avis, permettre de répondre à plusieurs défis parmi lesquels celui de l’organisation. « Notre objectif est d’avoir des organisations professionnelles bien structurées. L’idéal est de regrouper tous les tailleurs, tous les menuisiers, tous les mécaniciens… à travers des cellules communales, départementales, régionales et nationales validées et avec des agréments que nous allons délivrer. Nous allons entamer, sous peu, cette structuration pour une meilleure prise en charge des besoins des différents acteurs de l’économie informelle. C’est une nécessité de regrouper les forces éparpillées », indique-t-il. L’autre préoccupation à prendre en compte, d’après le président de l’Union nationale des chambres de métiers du Sénégal, est l’accès aux financements « conséquents », capables de promouvoir les grands projets. « Il faudra également songer à faciliter l’accès à des financements conséquents adaptés aux besoins des acteurs. Nous sollicitons auprès de l’État des enveloppes plus importantes. J’interpelle à ce propos la Délégation à l’entrepreneuriat rapide à qui le Chef de l’État avait demandé deux milliards de FCfa pour les artisans », rappelle Issa Dièye.

À l’en croire, à côté des réformes déjà entamées, l’Union va œuvrer pour la mise en place d’unités de production. « Nous avons élaboré la stratégie nationale de développement de l’artisanat. Nous savons tous que les acteurs ont besoin de plus d’encadrement mais aussi de stimuler une synergie d’actions à travers des unités de production. En plus de cela, il faudra veiller à l’acquisition de matériels modernes et à un accompagnement dans les processus de formalisation, afin qu’ils puissent accéder aux marchés nationaux », ajoute M. Dièye.

…………………………………………………………………………………………………………….

Dr ANTA NGOM, ÉCONOMISTE

« La création d’un ministère dédié au secteur informel, une étape vers la formalisation »

L’érection d’un département ministériel dédié à la transformation du secteur informel est un pas important franchi vers sa réorganisation. C’est la conviction de l’économiste, Dr Anta Ngom, chercheure au Laboratoire de recherche sur les institutions et la croissance (Linc) à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg).

Lors du dernier remaniement, le Président de la République a pris la décision d’ériger un département en charge de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel. Cela a été l’un des faits marquants de cette recomposition du Gouvernement. Aux yeux de beaucoup d’observateurs, cette décision est un signe de reconnaissance de l’apport des acteurs de ce pan de l’économie nationale et un jalon posé pour aller vers sa réorganisation. Pour l’économiste Anta Ngom, chercheure au Laboratoire de recherche sur les institutions et la croissance (Linc) à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg), la nomination d’un ministère chargé des questions de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel va être une « bonne opportunité » pour l’État sénégalais de réorganiser ce secteur afin d’en tirer beaucoup plus de profits surtout en termes de recettes fiscales mais aussi d’emplois créés. Elle explique qu’en raison de son statut informel, ce secteur n’a pas totalement bénéficié des fonds mis en place (1000 milliards de FCfa) par l’État du Sénégal pour contenir les effets de la Covid-19. « Ces acteurs auraient pu tirer profit du Plan de résilience économique et sociale (Pres), s’ils étaient bien organisés et formalisés », estime Dr Ngom.

C’est pourquoi, pense-t-elle, la création de ce département sera un atout pour favoriser la transition vers la formalisation, afin que les acteurs qui s’y trouvent puissent accéder à la commande publique, aux financements et aux services de protection sociale. Cependant, la spécialiste prévient que cette réorganisation du secteur nécessite des préalables. « L’État devra mettre en place des mesures incitatives pour permettre aux agents du secteur informel d’accepter cette transition, notamment l’allègement des procédures administratives et fiscales », préconise-t-elle. D’après Mme Ngom, la plupart des agents de l’informel jugent la règlementation trop contraignante et les taxes et impôts très élevés. À ce titre, elle soutient que l’amélioration de l’environnement des affaires devrait pouvoir contribuer à faciliter l’accès du secteur informel aux services publics et l’adoption d’un régime fiscal incitatif. L’enseignante-chercheure relève également la place prépondérante de l’informel dans le tissu économique de notre pays.

Citant les résultats issus du Recensement général des entreprises (Rge, 2017) de l’Ansd, Dr Ngom affirme que les activités informelles représentent une bonne partie de l’économie et couvrent 97,0 % des unités économiques. Se référant à une étude de la Direction de la prévision et des études économiques (Dpee) datant de 2018, elle ajoute que l’économie sénégalaise se caractérise par une forte présence de ce secteur qui contribue à hauteur de 41,6 % du Pib et 39,8 % de la production nationale. D’après Anta Ngom, l’étude de l’Ansd a montré que le secteur informel est présent presque dans toutes les branches de l’économie avec une proportion de 95 %, hormis des branches des Bâtiments et travaux publics (Btp), des services aux entreprises et des transports et télécommunication. S’agissant de la répartition des entreprises informelles, elle précise que le commerce occupe la moitié des unités économique (52,7 %).

Abdou DIAW

2 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici