Les nouvelles mesures obligeant les bars à fermer à 23 H et à s’abstenir d’abriter des séances de musique ou de danse n’agréent pas les tenanciers et autres gérants de bars dans la banlieue de dakar. Ils craignent que l’application de ces mesures n’aboutisse à la fermeture des débits de boissons.

« Saf bar » est situé sur la route des Niayes, entre le tribunal départemental de Pikine et la Rue 10. À l’intérieur, deux hommes, assis face à face, chacun sur un canapé court, discutent en sirotant tranquillement le contenu de leurs verres. Mary Mendy, gérante du bar, se tient sur un tabouret derrière un comptoir. Elle guette l’arrivée d’autres clients. Après un bref moment d’hésitation, elle consent finalement à répondre à nos questions avec l’espoir que le cri du cœur qu’elle va lancer trouvera un écho favorable auprès des autorités centrales du pays. Elle prend le temps de bien écouter que nous lui expliquions les mesures visant les bars, notamment la fermeture, dès 23H, la suspension des autorisations de faire de la musique, des chants et danses dans les débits de boissons etc. Elle se relève, se met en position debout et sur un ton triste, elle lance : «La décision de fermer à 23 H nous portera un coup très dur », réagit-elle. Elle explique que la première vague de la pandémie avait si drastiquement fait chuter son chiffre d’affaires qu’elle tient difficilement sur le plan financier. «Je paie le loyer et le personnel sans oublier les taxes que j’ai payées, faisant que je fais face à de nombreux problèmes financiers », ajoute-t-elle. Mary Mendy révèle que les mesures qui entravent la bonne marche des débits de boissons sont difficiles à gober, précisant que, après tout, elle est obligée de s’y conformer. À l’en croire, la situation l’a tellement éprouvée que ses enfants, qui l’informent de toutes les mesures que l’État prend, dans la lutte contre la pandémie, hésitent à lui en faire part. «C’est parce que mes enfants craignent que je ne pique une crise qu’ils ont beaucoup de mal à m’informer de toute mesure qui aura un impact financier négatif sur notre travail », soutient-elle.

Par la suite, elle nous prie de visiter la salle intérieure où des tables sont installées de manière à faire respecter la distanciation physique. «Tu as vu comment les tables sont disposées. Nous portons et faisons porter le masque pour respecter les consignes de l’État. Mais, à vrai dire, 23H est vraiment tôt comme heure de fermeture des bars. Je prie le chef de l’État, Macky Sall, de faire preuve davantage de compréhension et de reculer un peu l’heure de fermeture», sollicite-t-elle, tout en exprimant la peur qu’elle nourrit en appliquant les nouvelles mesures au risque de mettre la clé sous le paillasson. «Cela fait plus de 20 ans que je pratique ce métier. Si je ferme boutique, quel sort sera à mes enfants ? », s’interroge-t-elle, s’apitoyant sur son statut de « veuve ». Par conséquent, confie-t-elle, elle ne compte que sur ce travail pour gérer sa famille.

Craintes d’une fermeture

Le jeune André, fidèle client de ce bar, qui suivait les échanges, s’invite à la conversation et se désole lui aussi de la mesure qui, selon lui, ne l’arrange guère. «Moi, je descends tard la nuit, fatigué. J’ai besoin de faire un crochet au bar, de prendre un verre frais pour dormir facilement », souligne André. D’ailleurs, il se dit exaspéré par cette mesure qu’il dit ne pas comprendre. «Disons-nous la vérité, il y a moins de rassemblement dans les bars que dans les cérémonies religieuses », fulmine-t-il. À l’en croire, cette mesure n’est pas opportune. Ainsi, il invite les autorités à la revoir.

Accoudé à un comptoir, attendant l’arrivée du serveur, Patrice Sylva, lui, estime que si la fermeture du bar est dans l’intérêt de la population, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. « Je suis un consommateur d’alcool, mais si cette mesure arrange la population, je suis pour », indique-t-il, soulignant néanmoins que «c’est très dur pour les gérants qui devront supprimer des emplois ». Mais, « comme cette mesure est passagère et qu’elle aide à protéger la santé de la population, je n’y vois pas d’inconvénients», soutient-il.

Abdou DIOP

——————————————————————————————————————-

Décaler jusqu’à minuit ou une heure du matin

Daniel Gomis, lui aussi, est gérant de bar. Il ne cache pas son désaccord avec cette mesure. «Je ne peux pas comprendre qu’on autorise les bus à faire le plein, dans les établissements scolaires, que les salles de classe soient pleines aux heures de cours, entre autres exemples, et qu’on nous dise que nous devons fermer à 23 H, nous ne devons pas abriter des soirées», martèle-t-il. Il fait savoir que c’est à partir de 21 H ou 22 H que les clients commencent à s’introduire dans les bars. Il déduit que le temps qu’ils ont pour vendre de la boisson devient très réduit. «Pour ne pas mentir, cette décision n’arrange pas les bars. Nous ne pouvons pas engager un bras de fer contre l’État, donc nous ne pouvons que nous en remettre à Dieu», dit-il. M. Gomis considère que l’heure de fermeture devrait être fixée à minuit ou une heure du matin.

Nous quittons ce bar et atterrissons dans un débit de boissons, sis à Thiaroye Gare. Ici, le gérant n’est là que de temps en temps. C’est le videur, Justin, que nous rencontrons au moment où il s’apprêtait à sortir. À l’évocation des mesures en question, il n’attend même pas que nous terminions la phrase avant de réagir. « Cette mesure est injuste. Ceux qui travaillent dans les bars aussi sont des créatures humaines, on doit penser à eux », fulmine-t-il, lançant : « Ils veulent quoi, qu’on arrête de travailler ? ». Selon lui, cette situation est « dure à supporter ». « En tous cas, si cette décision perdure, tous les bars vont fermer», peste-t-il.

A.DIOP

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici