Les forces coloniales au Fort Pinet Laprade, les populations à la rive droite à Sandinièry. Ces deux lieux furent le théâtre d’âpres combats, de guets-apens et des assauts répétitifs et meurtriers entre colons et populations autochtones. Les deux camps livrèrent des batailles sans merci qui valurent à Sandiniery la réputation de village « rebelle ».

Sandiniery a de l’hospitalité à offrir. C’est une nature généreuse constituée, en majorité, de palmiers longeant le fleuve. Cette nature généreuse accueille et charme les passagers à bord des pirogues motorisées. Le débarcadère qui ne cesse de recevoir ces barques vit au rythme des nombreuses navettes et des activités connexes. L’ambiance y est grouillante. Jeunes et vieux discutent sous une baraque balayée par le vent frais qui atténue la chaleur suffocante. Guettant la moindre occasion, chauffeurs de taxi brousse et conducteurs de motos Jakarta rôdent autour. Même si la langue pose problème, ces débrouillards font recours au langage des signes, dans la plus grande courtoisie. Au cœur de ce village de Sédhiou, les activités diurnes vont bon train. À côté des maisons en dur ou en paille, les femmes assises devant leurs étals garnis de quelques morceaux de légumes et des tas de poissons attendent la clientèle. Jouissant d’une grande liberté, quelques enfants courent à gauche et à droite et aux abords de la route latéritique qui mène vers Karantaba.

Sandiniery baigne dans un grand calme, qui contraste d’avec son histoire agitée, son passé guerrier. Différentes péripéties conflictuelles avec le colon qui lui ont valu la réputation de « village rebelle ». Le Fort Pinet Laprade et Sandiniery sont deux grandes pages du passé colonial de Sédhiou. Le premier site contenait l’arsenal militaire du colon, avec trois pièces de canons orientés vers Sandiniery pour bombarder et surveiller les différents mouvements de l’ennemi. Combattant à armes inégales, les guerriers de la rive droite, venus de Karantaba et Tanaff, pour épauler leurs camarades de Sandiniery, en fins stratèges, prenaient les pirogues, traversaient le fleuve, et se cachaient dans les mangroves pour essayer d’atteindre le Fort Pinet Laprade. « Sandinièry était le point de ralliement de ceux qui voulaient s’attaquer aux Blancs. C’est la localité la plus proche de Sédhiou dont elle fait face. Toutes les populations de la rive droite, c’est-à-dire tout le département de Goudomp ainsi que celles de Sandiniery, de Karantaba de l’autre côté et de Tanaff combattaient à partir de ce village proche du fleuve », raconte l’historien Cheikh Tidiane Diédhiou.

Sandiniery, c’est également l’histoire des abeilles guerrières qui venaient en renfort dans les moments de faiblesse. « Dans le Fouladou, les dignitaires de certains villages avaient le pouvoir d’élever et d’envoyer en mission des abeilles guerrières. Ceux de Sandinièry avaient aussi cette capacité mystique », dit l’écrivain et historien Abdourahmane Diallo.

Sandinièry ne capitulait pas si facilement. Lorsqu’ils étaient mis en difficulté, les militaires français se repliaient dans les souterrains du Fort. « À Sédhiou, il y avait trois points névralgiques pour la sécurité coloniale. C’était l’actuelle préfecture, qui était la résidence du commandant de cercle, ensuite, vous aviez l’actuel hôpital régional, puis la caserne. Tous ces lieux ont une connexion souterraine avec le Fort. Quand les militaires étaient attaqués, ils récupéraient les administrateurs pour se réfugier au Fort », indique M. Diédhiou.

Le Fort, un patrimoine historique en ruines

Aujourd’hui, sous le poids de l’âge, le « colosse » est presque à terre. Murs lézardés, toit menaçant de s’effondrer, Sédhiou veut réhabiliter, exploiter et vendre sa culture à travers ce patrimoine, qui constitue l’une des plus grandes pages de son histoire.

« Fort Pinet Laprade ». L’enseigne bleue, avec de minuscules cadres aux couleurs nationales, rayonne de loin, malgré la fine pluie qui s’abat sur Sédhiou en cette matinée du mercredi 19 août 2020. Elle présente un imposant bâtiment à deux étages. L’une des premières pièces en vue de ce vestige abrite un Centre de lecture et d’animation culturelle (Clac). De petites tables sont aménagées pour accueillir les Sedhiois soif de connaissances et de récits historiques. Ils sont bien servis avec des milliers de livres sur les rayons. Le vieil édifice, qui accueille aussi des femmes transformatrices de produits locaux, a perdu de sa superbe. Même si l’architecture qu’il partage avec ceux de Gorée, Rufisque et Saint-Louis réveille encore les souvenirs de l’ère coloniale, le Fort n’attire plus comme avant. Pour des raisons esthétiques et sécuritaires. Les murs sont défraîchis et lézardés, les toitures en ruines. Les tuiles se détachent une à une. Les plus résistantes souffrent de la poussée des herbes. L’étage, quant à lui, est définitivement fermé pour éviter une catastrophe. Classé patrimoine mondial de l’Unesco, le symbole est toujours fort. C’est l’un des plus grands atouts historiques de Sédhiou. Il doit son nom à l’ancien  gouverneur français Emile Pinet Laprade, né en 1822 à Saint-Louis et décédé du Choléra en 1869. Ce fort, au cœur de Sédhiou, a été érigé à la suite de plusieurs expéditions contre les Mandingues et les Balantes. Les Français ont décidé de le construire en 1836. C’est le capitaine Pavent d’Angsbourg, à l’époque, directeur du génie militaire, qui a conçu le projet. Les travaux se sont déroulés entre mars 1838 et l’année 1844. Le fort a servi de tête de pont à l’expansion française en Haute Casamance. En outre, la bâtisse servait de lieu de stockage et de transport des marchandises durant la période coloniale. Mais aussi de lieux de refuge pour les populations durant les guerres tribales entre les chefs de la localité. « Le fort de Sédhiou avait une double vocation militaire et commerciale. Il demeure l’un des bâtiments les plus illustratifs d’un passé colonial très riche mais qui ne tient plus debout car sombrant à petit feu sous le poids de l’âge », explique Bouly Mané, professeur d’Histoire Géographie, membre de la plateforme « Sédhiou aide Sédhiou ».

Un espace culturel et intellectuel qui n’attire plus

Au-delà de la vocation culturelle et historique, le Fort était un espace de rencontre culturelle et intellectuelle. À un moment donné, c’était le carrefour d’éminentes personnalités casamançaises, du temps où elle était une école de formation pour instituteurs. De grands hommes à l’instar d’Emile Badiane, Assane Seck y ont fourbi leurs armes. « Cette école, en son temps, a formé la plupart des cadres de la Casamance surtout ceux qui étaient au Parti socialiste (Ps), anciennement Union progressiste sénégalaise (Ups). Je peux citer le Professeur Assane Seck, ministre de la Culture, puis ministre de l’Éducation nationale du Sénégal entre 1966 et 1978, actuel parrain de l’université de Ziguinchor, Emile Badiane qui fut le premier maire de la commune de Bignona, ancien responsable régional de l’Ups de Casamance et ancien ministre de l’Enseignement technique et de la Formation des cadres, puis ministre de la Coopération, a fait son passage ici », a rappelé M. Mané. Il cite, entre autres, l’ancien Directeur d’école, ancien ministre de la Santé et ancien député maire de Sédhiou, Dembo Coly.

Avec le temps, le Fort Pinet Laprade de Sédhiou a accueilli un Centre culturel et d’animation culturelle, implanté au rez-de-chaussée depuis 1987. « Au départ, Sédhiou ne devait pas en bénéficier. Mais c’est une des responsables, Lucie Alexandre, après avoir constaté qu’il n’y avait pas de bibliothèque à Sédhiou, qui a fait les démarches nécessaires. C’est ainsi que le Fort a abrité le Clac », témoigne un des dignitaires de la région. Cette même année, il a enregistré un record d’abonnés avec près de 2000 lecteurs. « C’était la crème, à l’époque, les gens lisaient », dit, d’une petite voix, le bibliothécaire et animateur culturel, Sékou Sonko. Riche aujourd’hui de 3000 ouvrages, le Centre de lecture et d’animation culturelle du Fort Pinet Laprade n’attire plus. On est loin de l’affluence des années 80 et 90. C’est même difficile de compter plus de dix lecteurs par jour, selon Sékou Sonko. « Lecture sur place ou prêt à domicile. Les deux options sont possibles. Le problème est que les jeunes d’aujourd’hui préfèrent les réseaux sociaux aux livres », regrette-t-il. Le fort est en train de perdre ses atouts culturels et historiques.

Appel citoyen pour la transformation du Fort en musée

« Il est vrai que, par moment, de petits entretiens ont été apportés à la bâtisse, mais, à mon avis, cela n’a jamais été fait à hauteur de la vraie valeur du bâtiment. Ces maquillages ne sauraient jamais guérir le « colosse » qui est en ruines », constate le président du mouvement « Sédhiou aide Sédhiou », Bouly Mané. À l’en croire, le Fort Pinet Laprade est un patrimoine à revaloriser. « Nous devons refuser de le laisser tomber en déliquescence, c’est une urgence capitale. Nous devons agir pour la réhabilitation, la revitalisation et la valorisation du Fort », ajoute-t-il. Selon lui, une transformation du Fort Pinet Laprade en musée pourrait permettre de capitaliser toute l’histoire de la Haute Casamance, voire celle de toute la région naturelle. « Ce musée pourrait même contenir une salle de spectacle pour les artistes de la région. Il pourrait, par exemple, être un lieu de mémoire de l’expansion coloniale française en Casamance, des secrets du règne du vaillant Fodé Kaba Doumbouya, des merveilles de l’histoire de l’empire du Gabou avec les irréductibles Nianthio, des secrets mystiques du Pakao, de l’histoire des royaumes d’Oussouye, du Cassa et du Blouff », propose Bouly Mané. Sans oublier, dit-il, le maintien en surbrillance du patrimoine culturel immatériel à savoir le Kankourang « qui a été élevé au rang de patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2005, le Koumpo, le Jambadong, le Bougheur, le lendieng, le kindong ».

La mairie de Sédhiou pour une meilleure exploitation

Le Fort Pinet Laprade est l’un des atouts culturels de Sédhiou. Ainsi, la mairie pense-t-elle à rentabiliser l’édifice, selon le secrétaire municipal, Boubacar Biaye. L’équipe municipale veut construire, à côté, une esplanade qui pourra accueillir les activités culturelles et les conférences. Avec des besoins financiers estimés à plus de 100 millions de FCfa, la mairie y prévoit également l’aménagement d’un jardin public et d’un restaurant. « Nous sommes en train de travailler pour avoir un jardin et un restaurant derrière, au bord du fleuve. Ce qui pourrait contribuer au développement de la culture et du tourisme », indique M. Biaye. La mairie de Sédhiou veut aussi redonner au Fort sa vocation d’institution de formation. À en croire Boubacar Biaye, l’équipe en place pense à la capacitation des jeunes sur les métiers liés au numérique. « Il faut qu’on forme les jeunes sur les technologies. Nous avons des personnes ressources chevronnées capables de les accompagner», estime le secrétaire municipal.

Oumar FEDIOR et Demba DIENG (Textes), Mbacké BA (Photos)

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