Carence de produits halieutiques, chute du prix de la sole, difficultés d’accès aux licences de pêche : autant de maux qui gangrènent le secteur à Boudody. Rencontrés au quai, les pêcheurs ne cachent pas leur désespoir face à cette situation alarmante.
Situé sur les rives du fleuve Casamance, à l’entrée de la ville de Ziguinchor, le quartier de Boudody se distingue par son quai, visible depuis le pont Émile Badiane. Dans les rues qui mènent de l’hôtel Kadiandoumagne au quai, le calme règne en cette matinée. Il est à peine 10 h, mais le soleil darde déjà ses rayons sur la ville. De temps à autre, les klaxons des motocyclistes viennent rompre cette tranquillité.
À l’entrée du quai, l’ambiance est tout autre : bruyante, animée, vivante. On interpelle, on marchande, on plaisante. À ce tumulte s’ajoutent les mélodies provenant des radios des motocyclistes et des conducteurs de « Jakarta ». Les pirogues amarrées tanguent doucement au gré du vent.
Par petits groupes, les pêcheurs s’activent. Certains démêlent leurs filets, d’autres les réparent. Assis au sol, sous un soleil de plomb, Babacar Sy, pêcheur au quai de Boudody depuis 36 ans, discute avec ses amis. Interpellé sur la situation de la pêche, il ne cache pas son amertume :
« Rien ne va ici. Quand nous avons commencé dans les années 90, on s’en sortait très bien. Le kilo de sole se vendait à 1 200 francs CFA. On gagnait bien notre vie. Malheureusement, les choses se sont dégradées d’année en année. Et là, à quelques jours de la Tabaski, on est complètement dépassés », confie-t-il, le regard fixe.
D’un ton sec, il poursuit : « On part en mer avec 4 millions de francs CFA, et on revient les mains vides. Nous avons du poisson, mais nous sommes obligés de le brader. La sole est passée de 1 200 à 500 francs CFA le kilo. Si on dépense 2 millions, on revient avec une cargaison qui ne vaut même pas 1,5 million. C’est une perte sèche. Les licences sont difficiles à obtenir, les filets et les équipements coûtent très cher. »
« Trouver des partenaires pour la sole »
Babacar Sy n’est pas seul à exprimer son désarroi. À ses côtés, El Hadji Gueye, capitaine de pirogue, abonde dans le même sens : « Depuis six mois, nous vendons la sole entre 500 et 600 francs CFA le kilo ici au quai. Pourtant, les dépenses sont énormes : au moins 2 millions pour le gasoil, la nourriture et les filets. Une caisse de glace qui coûtait 1 000 francs est aujourd’hui à 1 300. C’est très difficile. J’ai 19 hommes avec moi, et je dois assurer leurs besoins quotidiens. Mais nous n’avons aucun partenaire pour l’achat de la sole », déplore-t-il.
En se frottant les mains, El Hadji poursuit, plus calme : « La tonne de sole se vend à 600 000 francs CFA. Pour en avoir deux sur une pirogue, c’est un vrai parcours du combattant. Un paquet de filet en coton coûte 27 000 francs, et il en faut 80 pour équiper une seule pirogue. L’État doit vraiment nous aider à trouver des acheteurs et à développer des infrastructures. Nous n’avons même pas de chambres froides. Nous faisons ce que nous pouvons, mais nous avons besoin d’appui. »
Négociations tendues entre mareyeurs et clients
À quelques pas, deux jeunes marchands négocient pendant de longues minutes avec une cliente. « Je vends le kilo de dorade à 1 700 francs. C’est à prendre ou à laisser », lance l’un d’eux, tenant un seau de poissons. « Tu peux attendre un autre client, tu es trop radin ! », rétorque la dame, amusée. « En tout cas, c’est le prix. C’est bon ou on part ? », ajoute son collègue.
La jeune femme, Astou Diatta, finit par se désister : « Ces mareyeurs sont trop durs. Ils ont monté les prix jusqu’à 2 000 francs. Avant, ils vendaient par caisses, on pouvait négocier. Maintenant, ils refusent catégoriquement. » La négociation se termine sans succès. Les jeunes s’éloignent, la dame rejoint un groupe de femmes assises sur des seaux, au bord de l’eau.
Les mareyeuses à bout de souffle
Chez les mareyeuses, le constat est le même : la rareté du poisson plombe l’activité. Mais contrairement aux pêcheurs, elles dénoncent la cherté du kilo. « Les pêcheurs ne ramènent plus de dorades. Ils ne veulent plus vendre par caisses, mais au kilo, entre 1 200 et 2 500 francs. Difficile de s’y retrouver sur les marchés », se plaint Ndeye Gaye, mareyeuse depuis les années 80.
Son visage à moitié couvert pour se protéger du soleil, elle poursuit : « Parfois, on est obligées de recourir à des microcrédits pour rembourser nos dettes. Ce n’est pas une activité rentable. Le poisson est petit et vendu à 1 200 francs le kilo, les plus gros à 1 700. On essaie juste de survivre. Toutes mes anciennes collègues ont arrêté. Nous ne sommes plus qu’une poignée à venir ici chaque jour. » « On arrive à 6 heures, et parfois, on repart à 22 h sans avoir gagné un sou, même pas de quoi payer le petit déjeuner », ajoute son amie Ndeye Camara, de Boucotte Sud.
« Créer des usines de transformation en Casamance »
Maman Camara, une quinquagénaire, fait partie des nombreuses femmes qui tentent de survivre grâce au commerce de poisson. « Mon mari était pêcheur à Boudody. Il a arrêté il y a 15 ans. Il est parti en Guinée-Bissau, en Guinée Conakry et au Cap Skirring, mais c’était la même galère : pas de licences, harcèlement des grands bateaux qui coupent leurs filets… » Elle se remémore les années 2000 : « Avant, ça allait. Aujourd’hui, nous payons 1 000 francs de transport par jour, plus 200 francs pour accéder au quai. Et parfois, on ne gagne même pas ces 1 200 francs en retour. »
Et de lancer un appel : « L’État doit soutenir les pêcheurs, leur fournir des licences, subventionner les filets, moteurs et pirogues. Il faut aussi créer des usines de transformation des produits halieutiques en Casamance. »
Soleil