Le doyen des juges Samba Sall est décédé jeudi dernier à l’âge de 56 ans, alors qu’il entamait à peine l’instruction du dossier de viol supposé dont il a hérité et qui oppose Ousmane Sonko à la masseuse Adji Sarr. L’ancien avocat devenu magistrat instructeur qualifié par leader de Pastef comme étant une pièce maîtresse du fameux « Triangle des Bermudes » de la justice sénégalaise, avec son promotionnaire et ‘’ami’’ le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye et le juge Mamadou Seck, est à la fois redoutable et affable. Portrait ! Face à la folle clameur d’une affaire de dingue qui a failli écorner la réputation d’oasis de paix qu’exhibe fièrement le Sénégal, le juge Samba Sall prend une responsabilité historique. Celle d’avoir accepté volontiers d’hériter du brûlant dossier Sonko-Adji Sarr, après le désistement pour des raisons « personnelles » et « familiales » de son homologue du 8e cabinet, Mamadou Seck. La décision n’est pas sans conséquences pour le doyen des juges d’instruction, Samba Sall. Puisqu’aujourd’hui, même frappé de plein fouet par la sentence irrévocable du décret divin, il continue à se faire des ennemis.

En effet, avec une cruauté choquante, certains ont jubilé à l’annonce de son décès en pleine instruction de la rocambolesque affaire Sweet Beauté. Hallucinant! C’est dire toute l’ingratitude et la complexité de la tâche du magistrat instructeur intraitable et redouté qu’il fut. Au temple de Thémis, entre les quatre murs de son bureau, il en a scellé des sorts, fait et défait des carrières, brisé des élans, sans trembloter ni laisser paraître le moindre remord. D’une main ferme qui contraste, du reste, avec le caractère doux et affable que lui reconnaissent mêmes ceux qu’il a eu à placer sous mandat de dépôt, il gérait les dossiers les plus chauds notamment ceux à connotation politique.

Malgré sa notoriété qui dépasse de loin celle de ses devanciers à ce poste (Mahawa Sémou Diouf ou encore Seynabou Ndiaye Diakhaté), acquis durant ces six dernières années, la majorité des Sénégalais peinaient, jusqu’à son décès avant-hier, à coller un visage à son nom. A la publication de sa photo, ceux qui s’attendaient à voir le visage défraîchi et sévère d’un ‘’vieux routier’’ des palais de justice, ont été surpris de découvrir le minois relativement jeune et illuminé d’un large sourire du doyen des magistrats instructeurs du tribunal hors classe de Dakar.

Instructeur redoutable, homme affable

A 56 ans, du haut de ses 23 années de carrière dans la magistrature comme juge d’instruction, l’enfant de Sokone, orphelin de mère et de père respectivement à l’âge de 1 an et 7 ans, est un redoutable professionnel. Il exerçait le droit dans toute sa rigueur dans les dossiers à sensation. Et n’a jamais accepté de se laisser dépasser par la tournure des choses… aussi délicates qu’elles soient. Ou encore s’attendrir du sort d’un mis en cause au moment de prendre la lourde décision de l’inculper.

Cette froideur que lui impose sa charge ingrate, est à l’opposé de ses qualités humaines et de sa personnalité. En attestent les différents témoignages qui fusent depuis son décès. « Au-delà de la complexité, de la difficulté et de l’appréciation personnelle que chacun pouvait faire de sa charge, le doyen des juges Samba Sall était un homme courtois, respectueux, calme et toujours souriant », confie Me Moussa Sarr qui a eu à défendre devant le doyen des juges les dossiers Guy Marius Sagna, Imam Alioune Ndao entre autres. « Il m’a fait des misères sur certains dossiers, mais il reste un grand professionnel et un homme pétri de qualités », renchérit en off un autre avocat joint par Seneweb.
Certains à qui il a délivré le quitus pour un séjour à Rebeuss, loin de lui en vouloir, louent ses qualités d’homme. « Je le taquinais dans un de mes récents posts ne me doutant pas qu’il souffrait d’un mal atroce.  De Samba Sall, je retiens un homme affable, gentil et très humain. J’ai eu à faire 03 face-à-face avec lui mais je tiens à préciser qu’il a toujours accompli son sacerdoce avec patriotisme. A chaque fois que j’étais dans son bureau, il partageait le thé qu’il buvait avec moi qui provenait pourtant de la lugubre chambre 09 de la prison de Rebeuss. Au moment où il m’était pratiquement interdit de passer un coup d’appel à la prison, lui, le doyen des juges m’a offert le luxe de pouvoir émettre un appel à l’intérieur de son bureau. Juste pour témoigner des qualités hautement humaines de ce grand monsieur », confie l’ex détenu Moïse Rampino.

L’activiste aux 30 gardes-à-vue et 3 mandats de dépôt (tous délivrés par Samba Sall), Guy Marius Sagna, n’en dit pas moins. « J’ai rencontré le doyen des juges Samba Sall pour la première fois en 2019 quand il m’envoya à la prison de Rebeuss. Le juge Samba Sall avait tenu à me dire qu’il connaissait très bien ma tante, que j’appelle maman. Il m’appelait ‘mon neveu’ en wolof. (…) avant de sortir de la prison de Rebeuss, nous nous sommes vus. Il m’a dit ‘je suis venu avec une étrenne’. Il faisait allusion à ma première liberté provisoire en 3 ans. (…) je n’ai jamais eu la haine pour lui. Jamais ! Samba Sall, mon oncle, reposez en paix », déclare Guy sans rancune.
« Capitaine Sall »
Pourtant rien ne prédestinait Samba Sall à une aussi brillante carrière dans la magistrature. En fait, celui qui se faisait appeler « Capitaine Sall » pour son amour pour la tenue et son rêve de servir sous le drapeau, est entré par effraction dans cette corporation après un bref passage au barreau du Sénégal comme avocat stagiaire au cabinet de Me Moustapha Diop. Mais, « Me Sall » qui avait peu pris goût à faire des plaidoiries, finira par mettre fin à cette carrière au bout de deux années seulement. Si certains pointent son ‘’bégaiement’’ pour expliquer ce virage à 180 degrés, le concerné balaie tout, d’un revers.

« Sans citer de noms, j’avais vu beaucoup d’avocats bien assis, mais qui finissaient par s’écrouler. Mon choix de la magistrature n’a aucun lien avec mon bégaiement comme le soutiennent, à tort, ceux qui ne font pas l’effort de me poser la question », soutenait-t-il, dans Walf Quotidien. Ainsi, en 1997, il passe haut la main le concours de la magistrature et intègre le Centre de formation judiciaire (Cfj) dont il fait partie de la promotion de 1998 au même titre que son ‘’ami’’ le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye. C’est le point de départ d’une nouvelle carrière qui s’annonce ‘’alléchante’’ dès ses débuts.Téméraire et viscéralement attaché aux textes, son passage à Ziguinchor (1999-2003) a été retentissant. Jeune magistrat inexpérimenté à l’époque, Samba Sall n’avait point hésité à lancer un mandat d’arrêt contre le redouté chef rebelle, Salif Sadio. Un mandat jusqu’ici, jamais exécuté.

‘’Bourreau’’ des politiques et des célébrités

Affecté au deuxième cabinet avant d’être promu doyen des juges en 2015 en remplacement de son collègue Mahawa Sémou Diouf, Samba Sall a hérité des dossiers les plus sensibles dont le premier qui avait défrayé la chronique est celui de la Drogue dans la police qui opposait le commissaire Cheikhna Cheikh Sadibou Keïta au DGPN Abdoulaye Niang. Une « guerre fratricide » entre le patron de l’Ocrtis d’alors et son devancier qu’il accusait d’être en collusion avec des trafiquants de drogue, que Samba Sall avait instruit comme tant d’autres dossiers aussi surmédiatisés.

La caisse d’avance de Dakar dans lequel Khalifa Sall a été condamné, l’affaire du saccage de la maison du parti qui avait éclaboussé le maire de la Médina Bamba Fall, celui du Plan Jaaxay avec Aïda Ndiongue, Ndongo Diao (ex Dg Artp), Bara Sady, Thierno Ousmane Sy, Thione Seck… la liste est loin d’être exhaustive, tous ces dossiers ont été instruits, d’une main de fer dans un gant de velours, par le défunt doyen des juges, Samba Sall.

« Bathie Sopi », militant du changement…, ancien joueur de Navétane

Hors du terrain judiciaire, Samba Sall a aussi exprimé ses talents de contributeur dans les colonnes du défunt journal du changement Sopi, dirigé à l’époque par son ami avocat Me Khoureyssi Ba. En effet, celui qui signait par le pseudonyme « Bathie Sopi » était un militant engagé pour le changement. Me Ba ressasse la petite histoire. « Le jeune étudiant en droit pensionnaire du campus était sous son nom de plume Bathie Sopi,  de loin, le meilleur lecteur-contributeur et je m’honorais en ma qualité de directeur de Sopi de veiller à la publication, chaque semaine, de ses articles de qualité, d’un engagement exacerbé et d’un degré élevé de militance qui séduisaient au-delà du parti de Wade l’ensemble du lectorat du journal du changement », se rappelle l’avocat.

Il était également un footeux. Dans son Sokone natal d’ailleurs, son nom est inscrit en lettre d’or dans les annales du mouvement Navétane. Gardien de but de l’équipe du quartier, Samba Sall était tout aussi infranchissable. Hélas, cette muraille quasi invincible dans les terrains de football, n’a pas pu faire face à la redoutable faucheuse.

Il perd son dernier duel contre les séquelles désastreuses d’un accident vasculaire cérébral (Avc). Monogame, il laisse ainsi derrière lui, une femme et quelques enfants dont des jumeaux.

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