Dans notre Chapitre (Avril-Juin) consacré aux Migrations (20 reportages, mini-dossiers, interviews sur la question des Migrations au Sénégal), en collaboration avec l’organisation Article 19, nous sommes allés à Saint-Louis et à Louga (Nord du Sénégal) pour braquer nos projecteurs sur des familles qui survivent à la longue absence des pères de famille qui sont retenus à l’étranger faute de papiers. Leurs épouses et enfants gardent l’espoir de voir un jour cette séparation se terminer.

Le mariage à distance constitue un défi complexe et incertain à relever, fait de bouleversements, d’attente interminable, d’obstacles et parfois de souffrance pour les femmes sénégalaises qui le vivent, ces unions sont une véritable épreuve pour les familles. De la cohabitation tendue avec la belle-famille aux rumeurs et commérages pour ternir leur image, les femmes de migrants sans papiers coincés à l’étranger, vivent avec une pression sociale particulière. Reportage !

Pour beaucoup de Sénégalais, l’émigration paraît le meilleur moyen pour réussir à s’épanouir, à « devenir quelqu’un », à s’émanciper et à accéder à un avenir meilleur. Cette quête de réussite sociale laisse exerce parfois un impact colossal et un goût armer sur les familles, surtout quand le père de famille ou conjoint est dans une situation irrégulière dans son pays d’accueil. Au Sénégal, quand l’homme migre, la femme reste au pays pour vivre avec la belle-famille. Plusieurs couples réussissent à survivre à la distance tandis que d’autres non. Ces femmes mariées à des « Modou-Modou » coincés en Europe, vivent difficilement cette situation. C’est le cas d’Oumy Mbaye une jeune femme de 45 ans qui vit séparée de son mari depuis bientôt 17 ans.

Il est 17 heures passées lorsque l’équipe de PressAfrik arrive le dimanche 29 mai, devant la maison de Mme Mbaye qui vit à Saint-Louis au célèbre quartier Ndioloféne chez sa belle-famille. Mère d’un enfant de 16 ans avec son mari Issa, elle est mariée depuis 2004, un an avant le départ de son mari en Italie. Depuis 2005, Oumy entretient un ménage à distance avec son mari, retenu en Europe, faute de papier. Il était parti clandestinement. 

« C’est un soutien de famille, s’il décide de revenir sans papier, il perdra tout »

« Issa est parti par la pirogue. Mais une fois arrivé en Italie, il y avait un de ses amis qui l’a hébergé et qui l’a soutenu. 15 jours après son départ, on a eu de ses nouvelles par la suite, il ne pouvait pas nous contacter tout le temps parce que son ami travaillait. C’était vraiment difficile et je m’inquiétais beaucoup pour lui, car il ne connaissait rien là-bas. 5 ans après, il avait déposé pour obtenir ses papiers et revenir, mais on lui a refusé et comme. Puisqu’il est soutien de famille et qu’il nous envoie de l’argent, il a décidé de rester en Italie jusqu’à l’obtention de ses papiers, car s’il revient sans eux, il perd tout. Son enfant ne manque de rien, mais il ne connaît pas son père malgré les appels téléphones sur WhatsApp, etc. Je me suis habitué à vivre avec ma belle-famille même si ce n’est pas facile. Je suis tout le temps épiée et les commérages vont de bon train. Mais je subis tout ça parce que mon mari me soutient et à cause de mon enfant. Je prie qu’Allah aide mon mari et qu’il me revienne sain et sauf, c’est mon seul souhait », narre-t-elle.

Dans son ménage, les problèmes ne manquent pas, d’après ses dires, elle vit de véritables épreuves au quotidien. Des situations de précarité autour de l’accès aux ressources qui marquent une certaine dépendance des femmes à l’égard de leur mari lorsqu’il s’agit de la « dépense quotidienne ».

#Migrations - Femme d'émigré coincé en Europe, une attente douloureuse et interminable
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« 12 ans sans vie sexuelle… parfois j’ai juste envie de claquer la porte »

De son côté, Fama Diakhaté, mariée a un émigré, vit avec sa fille dans une maison construite par son mari qui ne lésine pas sur les moyens afin de ne pas lui faire sentir son absence. Mariée depuis 5 ans, elle vit dans la région de Louga, une zone de départ de nombreux « Modou-Modou » vers l’Espagne, la France et l’Italie. Dans cette localité, le mariage avec un émigré a longtemps constitué un « phénomène de mode ». Joint au téléphone elle raconte comment elle vit son union à distance avec son mari.

« Actuellement, cela fait plus de 10 ans, 12 ans plus précisément, qu’il n’est pas revenu au Sénégal, car il a eu des problèmes avec ses papiers, ensuite des démêlés judiciaires un Italie. C’est difficile pour moi, mais mes enfants sont mon réconfort. Souvent, j’ai envie de claquer la porte. Ensuite, je me dis que mes enfants ne méritent pas cela. Cela fait plus de 12 ans, pour une femme mariée qui a des enfants et sans une vie sexuelle. Il faut le vivre pour en mesurer les conséquences », confie-t-elle.

Pour cette femme comme pour tant d’autres, les échanges téléphoniques et autres technologies contribuent certes à réduire les effets de la distance, mais ne suffisent guère à combler le vide, le manque et l’absence. Comme beaucoup ont rarement une activité professionnelle, cette situation d’enfermement au sein du cercle familial est d’autant plus accentuée que ces femmes se plaignent de solitude.

Dans de nombreux de cas de mariage ou le mari est retenu à l’étranger faute de papier, les femmes sont confrontées à des difficultés qu’elles vivent généralement dans la solitude, car les gens les perçoivent comme des femmes épanouies, qui ne manquent de rien. Par conséquent, c’est impossible pour ces femmes de demander de l’aide : « Quand ton mari est en Italie, toute ta famille pense que tu es millionnaire », renseigne Fama Diakhaté, dont les relations avec sa belle-famille se sont justement tendues à cause de l’argent. Les conflits avec sa belle-famille qui veut contrôler les ressources financières sont récurrents.

« Ça me fait très mal parce que j’ai sacrifié ma vie pour lui et n’ai rien reçu en retour », témoigne-t-elle, avec cette impression d’avoir perdu son mari depuis qu’il est en Europe. « Il a beaucoup changé et je ne connais rien sur sa vie là-bas », soupire-t-elle.

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