C’est l’épilogue d’un an de divisions parfois meurtrières autour d’un éventuel troisième mandat d’Alpha Condé, le président sortant. Pour le premier tour de l’élection présidentielle, plus de 5,4 millions d’électeurs guinéens sont invités, dimanche, à choisir leur président entre 12 prétendants. Mais sauf improbable surprise, la compétition reviendra à une troisième manche entre Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo, qu’il avait battu au second tour il y a dix ans (2010), au premier cinq ans plus tard (2015). Présentation des deux favoris d’un scrutin qui va se dérouler dans un climat de tension.

Alpha Condé, l’ex-opposant historique à l’assaut d’un 3e mandat

Le président guinéen Alpha Condé, ex-opposant historique, entend remporter dimanche un troisième mandat pour poursuivre son œuvre de réformateur, rendant coup pour coup à ses adversaires et aux défenseurs des droits humains qui l’accusent de dérive autocratique. En 2010, Alpha Condé devient le premier président démocratiquement élu de cette ex-colonie française d’Afrique de l’Ouest, régie jusqu’alors par des pouvoirs autoritaires, voire dictatoriaux. S’il était alors auréolé de son image d’opposant acquise après des décennies de lutte, il est accusé 10 ans plus tard d’avoir plongé son pays dans la crise pour rester au pouvoir en faisant adopter une nouvelle Constitution.

A 82 ans, cet homme encore svelte qui boîte légèrement se présente comme un modernisateur, opposé à l’excision et aux mariages forcés. Il avait d’ailleurs choisi, début septembre, de s’adresser aux femmes de son parti pour officialiser sa candidature. « Moi, je suis le candidat des femmes et des jeunes », a-t-il assuré. « Je me suis battu pendant 45 ans, j’étais opposant, mes adversaires sont des fonctionnaires qui sont devenus Premiers ministres après avoir mis le pays à terre. C’est extraordinaire que je sois considéré comme un dictateur antidémocrate! », a-t-il lancé récemment sur France 24 et RFI. Il vante aussi son bilan: réalisation de barrages hydroélectriques, révision des contrats miniers et mise au pas de l’armée, alors que le pays a traversé la pire épidémie d’Ebola de l’Histoire (décembre 2013-2016).

A pieds joints

Mais malgré la richesse de son sous-sol, plus de la moitié de la population de Guinée vit sous le seuil de pauvreté, avec moins d’un euro par jour, selon l’ONU. Human Rights Watch dénonce pour sa part les conséquences désastreuses sur l’environnement et les populations de la « croissance fulgurante » de l’exploitation de la bauxite, principal minerai permettant la production d’aluminium, dont le pays détient les plus importantes réserves mondiales.
Se réclamant de la gauche, Alpha Condé est un orateur érudit, qui sait séduire son auditoire, mais il goûte peu la contradiction. « Je suis choqué de vous entendre dire que la Guinée n’a pas émergé, je suis choqué, franchement. Je suis choqué! », a-t-il pesté tout au long d’une interview en 2018 à des médias français pour le 60e anniversaire de l’indépendance. Sanguin, Alpha Condé l’est certainement, comme lorsqu’il réprimande des étudiants qui lui réclament les tablettes informatiques promises pour sa réélection en 2015. « Vous êtes comme des cabris: +Tablettes, Tablettes!+ », grince-t-il, sautant sur place à pieds joints. Mais c’est surtout sa volonté intransigeante de doter le pays d’une nouvelle Constitution qui a divisé les Guinéens. Selon Amnesty International, la répression des manifestations de masse contre un troisième mandat a fait au moins 50 morts depuis octobre 2019. « Je ne prends pas Amnesty International au sérieux. Ils font des enquêtes à charge, des rapports unilatéraux », rétorque le président.

Condamné à mort

De longues années d’opposition en exil, la prison, une accession quasi miraculeuse au pouvoir et deux mandats présidentiels ont forgé son caractère. Né le 4 mars 1938 à Boké (ouest), M. Condé est issu de l’ethnie malinké, la deuxième du pays. Marié trois fois, il est père d’un garçon. Il part en France dès l’âge de 15 ans et y obtient des diplômes en économie, droit et sociologie. Il enseigne ensuite à l’université parisienne de la Sorbonne.
Parallèlement, il dirige dans les années 1960 la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et anime des mouvements d’opposition au régime dictatorial d’Ahmed Sékou Touré, « père de l’indépendance » de la Guinée, qui le fait condamner à mort par contumace en 1970. Il rentre au pays en 1991, sept ans après la mort de Sékou Touré, auquel a succédé l’officier Lansana Conté. Aux présidentielles de 1993 et 1998, ni libres ni transparentes, Condé est officiellement crédité de 27% et de 18% des voix.
Il inquiète néanmoins Lansana Conté, qui le fait arrêter après la présidentielle de 1998 et condamner en 2000 à cinq ans de prison. Sous la pression internationale, il est gracié en 2001. Il reste dans l’opposition après l’avènement de la junte du capitaine Moussa Dadis Camara en 2008. Mais en 2010, le « Professeur Alpha Condé » est enfin élu, au second tour, après avoir été très nettement distancé au premier par l’ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo. En 2015, il est réélu au premier tour, loin devant M. Diallo, son principal opposant, qu’il retrouve à nouveau face à lui dimanche.

Cellou Dalein Diallo, l’homme qui veut incarner l’alternance en Guinée

A chaque étape de sa campagne à travers la Guinée, il pointe sa montre: Cellou Dalein Diallo en est convaincu, son heure est enfin venue, après deux mandats d’Alpha Condé. Entré dans l’arène politique après dix ans au gouvernement sous le général Lansana Conté (1984-2008), instruit par ses échecs en 2010 et 2015, Cellou Dalein Diallo s’est juré de ne plus retenir ses coups contre Alpha Condé pour le priver d’un troisième mandat controversé.

Frêle et invariablement élégant, dans des costumes classiques ou de grands boubous clairs assortis à des toques brodées, ou en saharienne lorsqu’il fait campagne, cet homme à la voix douce et aux allures de Gandhi ouest-africain se montre posé et courtois en privé. Mais il se laisse aussi parfois gagner par la ferveur des masses de ses partisans redoutés, totalement acquis à sa cause, qui peuvent former d’impressionnantes marées humaines à Conakry. Les détracteurs de Cellou Dalein Diallo l’accusent d’être un « pur produit du système Conté » et de s’être enrichi au pouvoir. Mais son camp valorise sa longue expérience de l’Etat. Membre de l’ethnie peule, considérée comme la première du pays, il est issu d’une famille d’imams du village de Dalein (centre), où il est né. Il aime à rappeler que son grand-père était « le grand érudit Thierno Sadou de Dalein qui avait écrit 35 ouvrages en arabe ». Elevé au village, dans une famille nombreuse – son père avait « quatre femmes et une vingtaine d’enfants » -, il fréquente l’école coranique et l’école française, puis part à Conakry pour y étudier la gestion.

« Technocrate »

Cellou Dalein Diallo intègre ensuite la fonction publique, passant par la direction d’une société d’Etat sous le père de l’indépendance, le dictateur Ahmed Sékou Touré (1958-1984). Sous le régime autoritaire de Lansana Conté, il rejoint la Banque centrale puis l’administration des grands projets à la présidence. En 1996, il entre au gouvernement en tant que « technocrate », selon ses propres termes, comme ministre des Transports, puis enchaîne les portefeuilles, de l’Equipement jusqu’à la Pêche. En décembre 2004, le général Conté, malade, le choisit comme Premier ministre, lui offrant l’occasion de développer un vaste réseau de relations internationales.
Après dix ans au gouvernement, M. Diallo connaît une soudaine disgrâce en avril 2006, sur fond de luttes d’influence au sein d’un régime Conté finissant. En 2007, il prend la tête d’un grand parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). A la mort de Conté, en décembre 2008, comme la plupart des dirigeants politiques, il prend acte du putsch, sans s’y opposer, pour favoriser une transition apaisée. Mais la désillusion s’installe vite et le chef de la junte, Moussa Dadis Camara, fait de M. Diallo une de ses cibles. Le 28 septembre 2009, au moment du massacre de 157 opposants, dont de nombreux militants de l’UDFG, par des militaires au stade de Conakry, il est roué de coups, grièvement blessé, et hospitalisé à Paris.

« Mandat cadeau »

En 2010, il paraît en passe d’être élu président dès sa première candidature, avec 43,69 % des voix, loin devant Alpha Condé, l’ancien opposant historique, avec 18,25 % des suffrages. Mais au terme d’un interminable feuilleton, Alpha Condé est proclamé vainqueur du second tour, organisé quatre mois plus tard. Sous pression, pourtant convaincu de « truquages » massifs, Cellou Dalein Diallo, reconnaît les résultats, pour éviter un bain de sang, selon lui. « J’ai donné un mandat cadeau à Alpha Condé », résume-t-il aujourd’hui.
En 2015, il se présente « sans conviction » face à Alpha Condé, facilement réélu lors d’un scrutin entaché de fraudes, selon lui. Il conclut alors une alliance électorale apparemment « contre-nature » avec Moussa Dadis Camara, inculpé peu après pour son rôle dans le massacre du stade de Conakry. En 2019, l’UFDG participe activement à la mobilisation contre un éventuel troisième mandat d’Alpha Condé. Malgré l’adoption en mars 2020, lors d’un referendum boycotté par l’opposition, d’une nouvelle Constitution, invoquée par le pouvoir pour légitimer une nouvelle candidature, Cellou Dalein Diallo se lance en septembre dans la course à l’élection présidentielle.
« L’UFDG a décidé de porter son combat contre le troisième mandat dans les urnes », explique-t-il. Cette fois, la victoire ne peut plus lui échapper, en raison à la fois du « bilan catastrophique » d’Alpha Condé et d’une vigilance accrue des citoyens face aux risques de fraude, affirme-t-il. Lui-même avoue en souriant avoir « accumulé beaucoup d’expérience, et surtout de volonté », en particulier celle, « beaucoup plus que par le passé, de gagner et de conserver sa victoire ». Le Soleil avec l’AFP

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