Le Sénégal jadis de tradition démocratique, un pays stable, a pendant quelques jours vacillé dans des eaux troubles. Trois jours de tensions vives, de violences inouïes et de diplomatie politique intense. C’est surtout des journées symboliques d’explosion d’une longue sédimentation de frustration, de colère, d’amertume, de vide, d’injustice et de sentiment d’ignorance. Une “révolution juvénile” spontanée et virulente que seuls ceux qui sont capables d’une écoute active pourraient décrypter et en tirer des leçons. Une révolution d’une démocratie silencieuse portée par une jeunesse citoyenne soif d’un État de droit et d’une justice équitable.
Quand les aspirations démocratiques dépassent les propositions politiques, cela crée un vide dont se nourrissent les frustrations populaires. Quand la demande de démocratie et de bonne gouvernance des populations dépassent l’offre des acteurs du système administratif, les exigences citoyennes ne peuvent être comprises par les autorités.
Je définis la démocratie silencieuse comme étant l’expression publique d’une partie de la population, restée longtemps aphone et qui se positionne en force de contestation pour des exigences républicaines. C’est aussi quand les forces citoyennes qui composent la nation dépassent de loin les acteurs politiques par rapport aux exigences démocratiques.
C’est une crise de la démocratie qui nécessite une refonte des réponses systémiques. Une centaine d’intellectuels universitaires du Sénégal l’ont qualifié par “l’incapacité de la normativité institutionnelle à essentialiser la démocratie, la remise en cause de la fondation unitaire de l’Etat par l’atomisation du pouvoir, la justice sélective, l’organisation judiciaire de la compétition politique, l’urgence de la conservation et de la patrimonialisation du pouvoir etc.” Ces éminences grises concluent en ce sens que, cette “crise du droit se prolonge en une crise de société.

#FreeSenegal, Monsieur le Président avez-vous entendu ce cri du cœur de la jeunesse ?
Un discours d’annonce d’un réajustement de la politique de jeunesse ou de réallocation de fonds supplémentaires pour l’entrepreneuriat ne constitue pas la véritable réponse à cette situation. Comprendre cette crise, c’est l’aborder hors de la bulle institutionnelle et sans œillères partisanes.
Ceux qui sont sortis manifester ne sont pas tous des chômeurs ou des jeunes en quête de travail. Les internautes sénégalais qui ont porté #FreeSenegal ne sont pas tous des demandeurs d’emploi. Ceux qui ont jeté des pierres à l’Université ne sont pas que des politiques.
Parmi les jeunes qui sont sortis défier les forces de l’ordre, il y a ceux que vous avez traité par le passé d’oisifs errants sur les réseaux sociaux; ceux dont les frères et les sœurs ont péri en mer en voulant rejoindre l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure. Ce sont les mêmes jeunes qui n’ont cessé de vous interpeller sur les mesures d’urgence par rapport au phénomène de l’émigration clandestine et le fort prix en vies humaines qu’il coûte à la nation.
Toujours parmi ceux qui sont sortis manifester, il y a ceux-là qui ont demandé en vain la vérité sur l’affaire de l’enquête de la BBC accusant Aliou Sall. Et qui ne cessent de réclamer leurs “400 000”.
Les jeunes qui étaient dehors, c’est également ceux à qui vous aviez promis une gouvernance sobre et vertueuse. Ceux à qui vous avez vendu la théorie de “la patrie avant le parti”. C’est à cette jeunesse aussi que vous avez promis de ne faire que deux (2) mandats. C’est à cette même population que vous avez brandi la menace à propos des vaccins : “Si vous ne les prenez pas, je vais les offrir à d’autres pays africains qui en ont le plus besoin”.
C’est cette jeunesse qui pense que Karim Wade est victime de votre pouvoir et que Khalifa Sall est otage du système judiciaire.
Si vous avez omis toutes ces exigences et toutes ces revendications, vous avez certes entendu la rue mais pas compris son cri de cœur.
La demande de #FreeSenegal, c’est :
● Une écoute active et une communication responsable et permanente pour plus de transparence et de redevabilité
● Une loyauté républicaine et démocratique qui voudrait que la limite des deux mandats consécutifs soient respectés
● Défendre et protéger les principes du constitutionnalisme, de l’État de droit et du respect de la limitation des mandats
● Une justice indépendante et stable
● Encourager le consensus national en garantissant les libertés et droits humains

La jeunesse au front : Les 3 mobiles
1 – La chimère d’un Etat-nation
L’État-nation peut être compris comme un État dont les citoyens forment un peuple se reconnaissant comme ressortissant essentiellement d’un pouvoir souverain émanant d’eux et les exprimant. Quand ce même peuple se cherche et cherche ses autorités, il vit un sentiment d’abandon et de déception. Le fait majeur de la gouvernance du Président Macky Sall c’est la rareté de sa parole. Au-delà de cette rareté, ses discours sont souvent source de polémiques et de commentaires hostiles.
Quand la jeunesse n’a pas l’impression qu’on lui parle ou que la population attend en vain la réaction de son leader sur des questions cruciales, cela crée un vide. Le dernier exemple en date, est la sortie du Président Macky Sall à propos des vaccins : “Si vous ne prenez pas les vaccins, je vais les offrir à d’autres pays africains qui en ont le plus besoin”. Tenir un tel discours est inadmissible pendant qu’il fallait sensibiliser, encourager et inviter les populations à se vacciner. Il est arrivé aussi à plusieurs reprises que des citoyens se lèvent pour demander une sortie du Chef de l’État. Cela a été le cas lors de la disparition en mer de plus de 480 jeunes sénégalais. Le long silence du Président avait poussé les internautes sénégalais à décréter d’eux-mêmes une journée de “deuil national”.
2 – Sentiment d’absence de justice
Du dossier du fils de l’ex-président de la République Karim Wade à l’affaire du Maire de Dakar Khalifa Sall, les Sénégalais ont été témoins de plusieurs autres dossiers de justice qui ont fait couler beaucoup d’encre. La perception d’une justice équitable est tellement importante que quand ceux qui la symbolisent ne sont pas perçus comme impartiaux, ils lui font perdre sa crédibilité. Quand elle donne l’impression d’être instrumentalisée, elle devient contestée. Cela constitue les germes d’un sentiment d’inégalité et d’injustice. Quand la perception fait penser que la justice ne s’applique que pour une partie de la population, cela installe un climat d’absence de justice. Rappelons que le frère du Président de la République a été directement indexé par une enquête de la BBC à propos d’un scandale à 10 milliards de dollars. Il n’a toujours pas été inquiété par la justice sénégalaise. Il en est de même pour certains membres de l’administration épinglés par les rapports de l’Inspection Général d’État (IGE).

3 – Une jeunesse connectée à l’école de la démocratie participative
C’est dans un environnement marqué par l’élargissement des espaces d’interconnexion à travers ce qu’on peut appeler un village planétaire que les Sénégalais ont porté l’expression d’une indignation collective en ligne. Les combats citoyens portés par des Algériens sont aussi portés par des Béninois ou des Sénégalais. La panafricanisation des exigences politiques, démocratiques et citoyennes est aujourd’hui une réalité. Le soutien massif des africains et même des antilles en est une preuve. Cela témoigne encore une fois de l’état de déliquescence des démocraties au niveau du continent. Portés par des dynamiques d’intelligence collective, les soft-révolutions citoyens constituent des amplificateurs des révolutions. Qu’elles aboutissent où pas, elles contribuent à redistribuer les cartes afin de rappeler les principes fondamentaux de la démocratie. “Le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple.” Quand ce peuple est connecté et organise la circulation de l’information à travers le cyberespace, il devient une force de pression, de contestation, de plaidoyer in extenso, une force de contribution et de participation. Il a fallu moins d’une semaine à #FreeSénégal pour réunir plus de 10 millions de francs CFA pour les familles des victimes et les blessés. Un simple appel à mobilisation a permis en 72H au centre de transfusion sanguine de collecter plus de 300 poches de sang.

“Ils ont essayé de nous enterrer mais ils ne savaient pas que nous étions des graines” proverbe mexicain
Il y a 10 ans, le 19 mars 2011, je parlais de cette jeunesse qui a su manifester pacifiquement à la place de la nation et qui a pris le soin de nettoyer les lieux après le rassemblement. Cette jeunesse mature et responsable a fait face à Abdoulaye Wade et n’a jamais fait usage de violence ou de pillage. Elle s’est toujours manifestée pacifiquement en respect aux institutions de la République. Le mouvement Y’en à Marre, cette jeunesse est plus qu’un exemple en Afrique, elle est devenue une inspiration pour bon nombre de pays. Entre 2011 et 2012, elle s’est dressée au premier plan sur le front contre les velléités du Président Abdoulaye Wade d’imposer la dévolution monarchique du pouvoir. Dix ans après, j’ai l’impression de vivre la même situation aujourd’hui avec un Président qui a attendu que plusieurs jeunes se fassent tuer pour prendre la parole. Un ministre de l’Intérieur prend la parole sans même exprimer une once de compassion aux victimes et les taxer de terroristes.

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