Depuis le 8 octobre, des milliers de Nigérians manifestent contre les violences policières, en se ralliant sous la bannière de #EndSARS, du nom d’une unité de police controversée. Après la répression sanglante du mouvement de contestation, l’ONU appelle au respect des droits de l’Homme mais le président Muhammadu Buhari se montre intransigeant.

La jeunesse nigériane est dans la rue. Depuis début octobre, un mouvement de contestation secoue le pays. Au cri de « #EndSARS » (mettons fin à la Sars, une unité spéciale de la police contre le vol), il réclame la fin de l’impunité des violences policières, mais aussi un changement du système politique.

La mobilisation #EndSARS a commencé en ligne le 3 octobre 2020, lorsqu’une vidéo montrant des officiers de la cette unité spéciale en train de brutaliser deux jeunes hommes avant de tirer sur l’un d’eux est devenue virale.

« C’est le meurtre des mains de la SARS d’un jeune dans l’État du Delta (sud), qui a mis le feu aux poudres », rappelle Laurent Fourchard, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (Ceri) et spécialiste du Nigeria, interrogé par France 24. « Cette unité de la police s’est fait connaître pour ses exactions extrajudiciaires en torturant et en tuant un grand nombre de jeunes. Elle fait dans l’extorsion. Elle agit sans plaques et sans uniformes », explique Laurent Fourchard à France 24.Nigeria :  » ce genre de violences est habituel de la part de l’armée et la police nigériane »

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Le fondateur de l’unité lui-même, Fulani Kwajafa, dit ne pas reconnaître la force qu’il avait fondée en 1984. « Le Sars d’aujourd’hui n’est pas le même Sars que celui que j’ai créé », a-t-il affirmé dans une interview récente à la BBC, avouant se sentir « triste » et « coupable » face à ces dérives.

La fin du Sars, le début du Swat

Face à la pression de la rue, et surtout à l’ampleur qu’a pris le mouvement #EndSARS sur les réseaux sociaux, avec le partage de super-stars internationales comme CardiB, Kayne West, et même le PDG de Twitter Jack Dorsey, le gouvernement nigérian a annoncé le 11 octobre la dissolution de cette unité et la création de la Swat (l’unité spéciale d’armes et de tactiques) pour la remplacer. 

Peine perdue : peu après l’annonce, le hashtag #EndSWAT avait remplacé #EndSARS, et des centaines d’autres manifestants sont descendus dans la rue, dans de nombreuses villes du sud du pays et d’Abuja, la capitale fédérale.

« Au début, le mouvement luttait pour une réforme de la police », explique Laurent Fourchard. « Petit à petit, sous le poids de la répression, il s’est radicalisé et remet désormais en cause le système politique, sa corruption et son fonctionnement. C’est devenu une protestation générale contre le pouvoir en place. »

Le chercheur du Ceri note que le mouvement social est inédit « par son ampleur, sa durée et sa radicalité »

« Il est inédit car il n’a pas d’équivalent en ampleur depuis le milieu des années 1960. Il est inédit politiquement car il rejette le soutien des partis tout en brandissant des drapeaux et chantant l’hymne national pour montrer son attachement au Nigeria. Enfin, le mouvement est inédit car il est transclasse : la jeunesse aisée se mêle aux pauvres chômeurs », énumère Laurent Fourchard.

Cinquante six morts depuis le début du mouvement

Tout est parti du « mardi sanglant », comme l’a surnommé la presse locale. Le 20 octobre, les manifestants se réunissent au péage de Lekki, près de Lagos, devenu l’épicentre de la contestation populaire.

Ce jour-là, plus d’un millier de manifestants avaient décidé de braver le couvre-feu décrété par les autorités à partir de 16 h à Lekki. La police les a dispersés à balles réelles, tuant 12 personnes, selon l’ONG Amnesty international, qui estime à 56 le bilan total des morts depuis le début du mouvement.

« Ce genre de violences est habituel de la part de l’armée et la police nigériane, mais là, ils ont réprimé une manifestation pacifique de gens désarmés. L’attaque a été préméditée. La scène vidée des médias. C’est effroyable, », estime Laurent Fourchard.

Washington, l’Union Africaine, l’Union européenne et l’ONU ont condamné ces violences et ont demandé à ce que les responsables soient traduits en justice.

Certains manifestants souffrent de séquelles psychologiques terribles, comme le raconte Moïse Gomis, correspondant de France 24 sur place. « Les gens sont traumatisés par ce qu’il s’est passé. J’ai parlé avec un père de famille qui me racontait qu’il avait dû dormir avec ses enfants, alors que les balles sifflaient. Une autre manifestante est prostrée dans sa chambre depuis les évènements de mardi », détaille Moïse Gomis.

Après ce « mardi sanglant », Lagos a plongé dans le chaos, des supermarchés ont été pillés, des coups de feu ont été tirés, et deux prisons ont été attaquées, avant que les forces de l’ordre n’en reprennent le contrôle.

Le président n’a pas convaincu

Jeudi 22 octobre, le président nigérian Muhammadu Buhari, un ancien militaire putschiste, s’est exprimé pour la première fois depuis le début de la crise dans un discours très attendu. Il s’est montré intransigeant et inflexible, prévenant les manifestants qu’il « n’autoriserait personne ni aucun groupe à mettre en péril la paix et la sécurité nationale », a-t-il déclaré. « Résistez à la tentation d’être utilisés par des éléments subversifs pour causer le chaos et tuer notre jeune démocratie. »

Un discours qui est loin d’avoir convaincu, d’autant plus que de nombreux Nigérians attendaient du discours du président que les responsables de la répression soient désignés. L’armée et la police nient en effet être impliquées. 

« Les gens sont catastrophés mais ne faisaient pas d’illusions sur le discours. Pour eux, le président n’a rien dit, il répond à côté de la plaque au mouvement », note Moïse Gomis.

« Quelqu’un a-t-il remarqué que le président n’avait pas été capable de reconnaître les vies perdues et les personnes blessées à cause de la gâchette de policiers ? », a déclaré sur Twitter l’actrice nigériane Kemi Lala Akindoju. « Au lieu de cela, il a célébré les braves policiers qui ont perdu la vie. Rien sur les fusillades.

« Je suis si déçue, minée. J’ai le cœur brisé. Comment peut-on avoir un dirigeant pareil ? », s’interroge Chioma*, l’une des participantes au mouvement.

« Si vous faites partie de ceux qui croient encore que Buhari n’a pas ordonné le massacre de Lekki, alors vous êtes débile. Son discours montre qu’il est aussi coupable qu’un prêtre dans un bordel », lâche Michael*, dans sur les réseaux sociaux.

« Douze minutes de n’importe quoi », estime Fati*, une autre manifestante, sur les réseaux sociaux, en réaction au discours adjoignant plusieurs emojis de pleurs. 

Après trois nuits de pillage et d’émeutes, les forces de sécurité reprennent peu à peu le contrôle de Lagos, selon les journalistes de l’AFP. Des officiers de police patrouillent dans les quartiers de la ville pour assurer la sécurité de ses habitants. Vous êtes priés de rester chez vous », tweetait dans la nuit la police, quelques heures après le discours du président Muhammadu Buhari.

De leur côté, les quelques organisations ou célébrités qui ont porté le mouvement semblaient également appeler au calme.

« Préparez vos cartes d’électeurs ! Ce n’est pas fini », écrivait la star de la musique afro-pop Davido, soulignant que le combat devrait désormais se dérouler dans les urnes et non dans la rue.

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