IGFM – La Loi 2020-05 du 10 janvier 2020, criminalisant le viol et la pédophilie, pose un imposant point d’interrogation au sein de la Justice. Elle a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 31 décembre 2019, suite aux multiples abus sexuels. Cependant, elle est décriée par des acteurs de la Justice (procureurs, magistrats, avocats et techniciens de Droit).

L’Observateur livre les chiffres effarants de viol de tous les tribunaux de grandes instances (Tgi) du Sénégal (hormis Saint-Louis et Fatick). 414 dossiers ont été dénombrés dans ces 12 juridictions. Des cas enregistrés de janvier à décembre 2020. 

Au Sénégal, le viol reste l’une des infractions les plus fréquentes des rôles des tribunaux. Les victimes sont marquées au fer rouge. Brisées à vie ! Face à l’ampleur de cet acte ignoble, les associations des droits des femmes se sont battues pour le faire criminaliser. La victoire de leur combat s’est matérialisée le 31 décembre 2019 à l’Assemblée nationale avec le vote, à l’unanimité, de la Loi 2020-05 du 10 janvier 2020 criminalisant le viol et la pédophilie. Les coupables risquent désormais des peines allant de 10 ans à la réclusion à perpétuité. Mais l’espoir de voir le phénomène ralentir s’est mué en désespoir. A une semaine de l’anniversaire de son adoption, une enquête menée par L’Obs permet de découvrir qu’en voulant régler un problème, d’autres ont jailli. Ce qui fait de cette criminalisation du viol «une loi à problèmes». 414 dossiers ont été dénombrés dans les tribunaux de grande instance du pays (hormis Saint-Louis et Fatick).

Me Joseph Etienne Ndione : «Les initiateurs de cette réforme ont versé dans la précipitation»

Dans un texte d’alerte, Me Joseph Etienne Ndione tirait la sonnette d’alarme dès l’adoption de ladite loi. «Les initiateurs de cette réforme et tous ceux et toutes celles qui les ont soutenus, pris par l’émotion et sous la forte pression, ont versé dans la précipitation. Ils se targuent d’avoir plié la procédure en trois mois.  A-t-on recueilli les avis des sociologues et pédo-psychologues, des experts et spécialistes des droits relatifs aux enfants, aux femmes et personnes vulnérables ? A-t-on saisi et recueilli les observations des acteurs de la Justice et praticiens du Droit ? On a accéléré la cadence pour faire adopter une loi, sans se soucier du sort de tous ceux qui, ‘victimes’, peuvent se retrouver ou se retrouveront hélas, brutalement, sur de simples dénonciations ou affabulations d’un enfant, en prison durant des semaines, des mois, voire plusieurs années, le temps que l’instruction soit clôturée ou que la cause soit vidée». Connus pour leur détermination à poursuivre les mis en cause jusqu’à leurs derniers retranchements, les procureurs sont aussi les premiers à critiquer cette nouvelle loi. «C’est une loi absurde» peste un procureur de la République en service à l’intérieur du pays. Et «la criminalisation n’a eu aucun effet sur la baisse de la recrudescence du viol». Un autre Procureur souligne la difficulté à asseoir la culpabilité. «Le certificat atteste seulement de l’existence de rapport sexuel, mais pas du fait que ça soit fait avec ou sans consentement», se désole-t-il.

«La loi engorge les cabinets d’instruction et les prisons»

A l’image des deux parquetiers, leurs collègues interrogés, sous le couvert de l’anonymat, pensent que l’idéal aurait été de maintenir le viol comme un délit et de corser les peines. Telle est la conviction de Me Alioune Abatalib Guèye qui explique : «L’inconvénient de cette loi est de rendre la procédure  très longue pour un fait de fragrant délit. Au Sénégal, il n’y a pas assez de juges d’instruction et on les encombre davantage de dossiers qui n’ont aucun acte d’informations, car tous les éléments de preuve sont déjà dans le procès-verbal.» Des propos confirmés par un juge d’instruction interrogé : «C’est un peu comme la loi sur la criminalisation du trafic de drogue. Ça engorge les cabinets et les prisons. Parfois, la personne fait des aveux circonstanciés et n’a pas besoin d’être emmenée en instruction. Ce sont des dossiers qui se règlent en flagrants délits. Parfois, le juge n’a pas besoin de preuves supplémentaires et se contente du procès-verbal d’enquête. Parfois, il faut des tests Adn, mais les cabinets rechignent à le faire, car l’Etat ne paie pas.»

«Vers la disqualification ou le non-lieu de certains dossiers»

Ne pouvant pas, pour le moment, se prononcer sur l’efficacité de la loi parce que presque aucun accusé n’a encore été jugé en Chambre criminelle pour pouvoir dissuader d’éventuels violeurs,  le magistrat instructeur est de ceux qui pensent qu’il fallait «poser des peines fortes en correctionnelle et non criminaliser». Il s’explique : «Dans les dossiers de viol, on ne fait que reprendre les Procès-verbaux (Pv) de police alors que l’instruction, c’est pour retrouver des preuves supplémentaires. Dans beaucoup de dossiers, on va vers la disqualification ou le non-lieu. Il n’y a pas de plus-value avec l’instruction parce que c’est rare que le juge trouve des preuves supplémentaires.» Sa position est appuyée par une Procureure qui souligne les fautes de cette loi. Selon elle, dans leur juridiction, si les faits ne sont pas basés sur du solide, ils ne prennent pas le risque d’envoyer le dossier en instruction. «Nous disqualifions les faits et les renvoyons en flagrants délits.» Les Procureurs, qui ont vu des cas de viol parfois montés de toutes pièces, se veulent prudents. «On a vu, pour des raisons inavouées, une fille qui avait accepté de coucher avec son copain, crier au viol lorsqu’elle a été surprise, au moment de l’acte, par sa mère. C’était à Diourbel. Le Procureur, à l’audience, lui demande si les cris étaient de douleur ou de bonheur, elle dit : ‘’Pour dire vrai, c’étaient des cris de bonheur’’. Une fille, au début, peut s’opposer comme toutes les filles. L’homme, croyant que c’était dû à l’orgueil féminin, insiste et elle finit par céder. Après coup, elle parle de viol en disant avoir refusé dans un premier temps avant de finir par céder. Ce qui pose la question de savoir à quel moment elle n’a pas consenti. On a aussi vu une femme faire du chantage à un homme après avoir couché avec lui. Elle lui demande des sommes, s’il refuse, elle parle de viol.»

«Plus la peine encourue est sévère, plus le juge est exigeant en matière de preuves»

L’autre problème repose sur le risque de disparition des preuves mises sous scellés, souligne le magistrat instructeur interrogé : «Si les faits sont jugés des années après, les éléments de preuves, comme les tâches de sang sur les habits, peuvent, au fil des ans, perdre de leur netteté.» Aussi, ajoute un des parquetiers : «Plus la peine encourue est sévère, plus le juge est exigeant en matière de preuves. Il ne va pas se hasarder à appliquer de lourdes peines sur des bases légères.»

T. Marie Louise N. Cissé

Dakar – 102 dossiers avec 108 inculpés dont 2 mineurs…

Des 12 tribunaux de grande instance étudiés (hormis Saint-Louis et Fatick), celui de Dakar vient en tête. Du 04 février au 17 décembre, 102 dossiers ont été confiés aux 10 cabinets d’instruction. 11 viols sur mineures de moins de 13 ans, 61 affaires, impliquant des mineurs de 13 ans ou plus, gardent en prison des détenus accusés de viol, de pédophilie, de détournement de mineurs, de tentative de viol, entre autres infractions. 5 affaires d’actes contre-nature, dont l’un est commis par un mineur, 2 viols collectifs, 4 dossiers de viol sur des personnes vulnérables en raison de leur santé, 4 dossiers de viol sur mineurs par une personne ayant autorité sur la victime sont décomptés. A noter que 18 affaires, dont les victimes sont des majeures ayant, selon l’accusation, subies un viol ou une tentative, parfois avec séquestration, diffusion de données personnels, association de malfaiteurs, traite de personnes en réunion, usurpation de fonction, vol… figurent sur la liste. Des mis en cause sont aussi inculpés de complicité de viol.

Thiès – 48 dossiers, 13 viols sur mineurs…

De janvier à décembre 2020, Thiès totalise 48 dossiers. Avec le cas d’association de malfaiteurs, enlèvement de mineure, viol collectif sur une mineure de moins de 13 ans, pédophilie et détournement de mineure enregistré, le nombre de mis en cause est de 49. 10 dossiers de viol, pédophilie et détournement de mineure, sur une mineure de moins de 13 ans. 13 dossiers de viol sur mineurs, pédophilie, 1 viol et détournement de mineures, 1 viol, pédophilie, 2 dossiers de pédophilie, attentat à la pudeur avec violence sur une mineure de moins de 13 ans, détournement de mineure. 10 personnes sont inculpées de tentative de viol sur mineure, 1 dossier de tentative de viol, vol commis la nuit, 3 dossiers de viol et d’actes contre-nature, 1 cas de viol et vol, et mise ne danger de la vie d’autrui, 3 dossiers de viol, acte contre-nature, évasion par violence ou bris de prison, 2 affaires de viol, pédophilie par une personne ayant autorité sur la mineure et détournement de mineures.

Pikine – 45 cas de viol  dont 18 victimes de moins de 13 ans

Du 06 février 2020 au 03 novembre 2020, 45 dossiers de viol impliquant 54 mis en cause sont décomptés au Tribunal de grande instance (Tgi) de Pikine. Des viols supposés commis par des personnes ayant ascendance sur une personne (papa, oncle, grand-père…), des personnes ayant autorités sur la victime (tuteur, enseignant…) des viols sur des personnes souffrant de troubles mentaux, des viols multiples, des viols sur des garçons… De ces 45 dossiers, figurent : 18 cas de viol sur des mineurs de moins de 13 ans, 1 affaire de viol collectif, 5 cas de viol sur une personne vulnérable, souffrant de troubles psychiatriques, 4 affaires d’actes contre-nature, 1 cas de viol commis par un ascendant, 1 cas de viol sur une personne ayant autorité sur la victime. Le reste, ce sont des cas de viol sans ces circonstances aggravantes.

Diourbel – 41 cas de viol, 2 accusés condamnés à 10 ans…

Des deux cabinets d’instruction de la ville Diourbel, 41 cas de viol a été décomptés à la date du 07 novembre 2020. 23 dossiers au premier cabinet et 18 au niveau du second. De ces trois dossiers, 3 ont été traités en chambre criminelle. Les deux accusés ont été condamnés à une peine de 10 ans de travaux forcés. Quant au troisième, les faits ont été disqualifiés en attendant à la pudeur et il a écopé d’une peine ferme de deux (2) ans. Dans certains dossiers, en plus des infractions de viol, pédophilie et détournement de mineures, des faits d’association de malfaiteurs et de vol en réunion y figurent.

Ziguinchor- 37 affaires, des «victimes»  de 3 et 6 ans

Du 16 janvier au 27 novembre 2020, Ziguinchor a enregistré 37 dossiers de viol dont les deux ont été traités en flagrants délits, car antérieurs à la loi. 16 inculpés, dont les dossiers sont pendants devant la Justice, sont poursuivis de viol sur mineures de moins de 13 ans et (ou) pédophilie et détournement de mineurs. Un 17e dossier, concernant les mineures en dessous de 13 ans, traite d’une tentative de viol. Parmi les victimes, figurent deux enfants de 3 et 6 ans. Des victimes, figurent également celles dont le bourreau a une autorité sur elle ou est son ascendant (papa, grand-père…). Aussi, compte-t-on quatre (4) dossiers de viol sur une personne vulnérable en raison de son état de santé. Dans un de ces dossiers, des circonstances aggravantes comme la complicité d’avortement, le charlatanisme, la provocation à l’avortement, ont été retenues. Un (1) viol sur une personne vulnérable en raison de son état de grossesse. Dans ce lot de 37 dossiers, figurent 3 traitant d’affaires complexes.

Mbour – 21 dossiers, dont 2 classés sans suite

A Mbour 21 cas de viol ont été portés à l’attention du Procureur. Un chiffre décompté du 27 janvier au 16 décembre. Le juge d’instruction, qui n’a pas pu asseoir la culpabilité à l’ouverture de l’information judiciaire, a classé deux dossiers sans suite. Les 19 autres, toujours en instruction, attendent la fin de l’information pour savoir le sort qui leur sera réservé. 

Kolda – 13 cas de viol dont 4 mineurs mis en cause 

Kolda a, du 02 janvier au 30 novembre 2020, enregistré 13 affaires de viol, 1 tentative de viol, 7 attentats à la pudeur. Des 3 procédures enclenchées avant l’application de la loi, 2 des mis en cause ont été relaxés. L’autre a pris 2 ans de prison ferme. Les «victimes» mineures de moins de 13 ans sont au nombre de 8. Cinq 5 ont 13 ans, 2 ont 14 ans, 2 autres ont 15 et 16 ans.  Les autres victimes sont majeures. Des 2 mineurs mis en cause pour attentat à la pudeur, l’un a été relaxé, l’autre est sous contrôle judiciaire et confié à l’Aemo de Kolda. Deux autres, seulement âgés de 17 ans, sont en instruction. L’un pour viol, l’autre pour tentative de viol. 

Kédougou – 13 dossiers, seuls 3 sont en instruction

A Kédougou, 13 dossiers de mœurs sont présentés à l’attention du Procureur, de janvier à décembre. Seuls 3 font l’objet d’une instruction. Les 10 autres sont traités en flagrants délits et 6 ont été jugés. De ces affaires, on décompte deux affaires de complicité de détournement de mineure sans fraude ni violence, 1 tentative de viol, pédophilie et détournement de mineur, 1 viol sur mineure, détournement de mineure avec fraude et attentat à la pudeur (instruction), 1 viol et complicité de viol (instruction), 4 histoires d’attentat à la pudeur en flagrant délit, 1 pédophilie, 1 proxénétisme, 1 acte contre-nature (viol) sur mineur.

Matam – 7 cas de viol

A Matam, des chiffres obtenus par L’Observateur, de janvier à décembre, seuls 7 cas ont été portés à l’attention du Procureur. De janvier à mars, 3 cas ont été enregistrés, dont 1 par mois. Des cas répertoriés, un a été réglé en flagrants délits avec une relaxe pour le viol et une condamnation à deux ans de prison ferme pour pédophilie. Deux viols sont sur des mineures de moins de 13 ans.

T. Marie Louise N. Cissé

Tamba – 32 dossiers, 3 élèves «victimes»  et 2 maîtres coraniques impliqués

A Tamba 32 affaires de viol, pédophilie et détournement de mineure sont actuellement à la table du magistrat en charge de les instruire. Parmi les victimes, figurent trois (3) élèves âgées de moins de seize (16) ans. Deux (2) maîtres coraniques sont parmi les accusés.

Pape Ousseynou Diallo

Kaolack – 25 dossiers en instruction

A la date du 04 décembre 2020, 25 affaires de viol sont pendantes en instruction au Tribunal de grande instance de Kaolack. Un chiffre alarmant qui renseigne à suffisance sur la recrudescence de ce phénomène dans la capitale du Saloum.

Bernadette Sène 

Louga – 22 cas de viol, un accusé jugé et relaxé faute de preuves 

Au Ndiambour, 22 dossiers ont atterri à la table du Procureur près le Tribunal de grande instance de Louga. Sur ces 22 dossiers (dont un acte contre-nature) répertoriés, un seul a été enrôlé par le tribunal correctionnel. Enclenché avant la procédure, le mis en cause a été jugé en octobre dernier en flagrants délits. Accusé d’avoir violé sa nièce (une divorcée de 20 ans), il a été finalement relaxé faute de preuves suffisantes. Un autre justiciable, inculpé pour ce même délit a bénéficié d’une liberté provisoire.

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