Les collectivités territoriales sénégalaises peuvent tirer de nombreuses opportunités dans la coopération décentralisée. Mais, présentement, le constat est qu’il existe encore très peu de financements obtenus à partir des produits de cette coopération, le contexte sanitaire actuel ne favorisant guère le développement de partenariats. Pour rendre les communes plus résilientes, les acteurs plaident pour la création d’une direction de la Coopération afin d’harmoniser et de rendre plus efficaces les interventions.

Face au manque de ressources et aux nombreuses exigences de leurs administrés, les élus locaux essaient de tirer profit des produits de la coopération décentralisée, afin de finaliser certains de leurs projets ou programmes de développement. Au Sénégal, certaines villes comme Saint-Louis, Thiès et Louga sont réputées comme étant des localités qui ont cette tradition de se tourner vers des partenaires extérieurs. D’autres qui le sont moins se contentent de leurs ressources propres et des fonds transférés par l’Etat pour répondre aux besoins de leurs administrés. Cette donne doit changer, estime le président de l’Association des maires du Sénégal (Ams), Aliou Sall, maire de Guédiawaye, qui incite ses collègues à se constituer en intercommunalité afin de saisir les opportunités de la coopération décentralisée. «Il faut une coordination des actions et agir sur le levier de l’intercommunalité pour capter les gros financements, notamment avec un dispositif juridique sous la surveillance de l’Etat», ajoute celui-ci.

Cette nouvelle orientation vers la coopération décentralisée est encouragée par les Etats. En 2015, la France et le Sénégal, dans le cadre de la coopération décentralisée, ont ficelé et financé 63 projets. M. Sall de révéler qu’à cet effet, l’Etat du Sénégal injecte dans le guichet intercommunalité en 2020, le montant de 1,5 milliard de FCfa. «Chaque effort consenti par les collectivités territoriales doit être accompagné par le soutien financier de l’Etat», estime Baba Ndiaye, président du conseil départemental de Kaolack. Selon lui, la coopération décentralisée n’aura de sens que quand elle s’inscrit dans une perspective de durabilité, quand elle se présente comme la capacitation du savoir-faire entre le Nord et le Sud.

Le repli sur soi

Le contexte de crise sanitaire mondial avec la Covid-19 aura certainement des conséquences sur la coopération décentralisée, prévient le secrétaire général de l’Union des associations des élus locaux (Uael), Abdou Khadre Ndiaye. «La coopération décentralisée est un secteur dans lequel on est perpétuellement en mouvement. Notamment les déplacements à l’étranger dans un sens comme dans un autre. Avec les Tic, on peut toujours continuer à travailler dans le cadre de la coopération, mais le contact direct est irremplaçable», explique le maire de la commune de Gaya, dans le département de Dagana.

Aujourd’hui, soutient ce dernier, outre l’absence de déplacements et de contacts physiques, chacun vit une situation de crise et a tendance à se replier sur lui-même. Il est donc temps que les communes ou départements puissent compter sur eux-mêmes pour se développer, estime Amadou Sène Niang, spécialiste en décentralisation. «On ne peut pas baser les projets d’une commune ou d’un département sur les produits de la coopération», fait-il savoir, rappelant qu’en dehors de la coopération décentralisée, il existe d’autres types de ressources comme les ressources propres provenant des impôts et des taxes collectés ou encore des transferts de l’Etat avec les Fonds de dotation de la décentralisation (Fdd) et les Fonds d’équipement des collectivités territoriales (Fect). «Il faudra que nos autorités locales apprennent à utiliser l’apport des Sénégalais établis partout dans le monde. Ces Sénégalais de la diaspora peuvent aussi nous apporter non seulement des partenaires, mais aussi des projets innovants pouvant contribuer au développement de nos localités», poursuit M. Niang. Même s’il est très tôt pour évaluer l’impact de la Covid-19 sur la coopération décentralisée, les conséquences de la crise sanitaire ne seront pas sans effet. «En tout état de cause, il y a des impacts à évaluer. Mais, c’est clair que la Covid-19 ne sera pas sans impact. Pour autant, les uns et les autres peuvent toujours organiser des vidéoconférences pour approfondir, instaurer ou diversifier la coopération», signale Abdou Khadre Ndiaye de l’Uael.

Maguette NDONG et Babacar Bachir SANE

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Explorer de nouveaux horizons de partenariat

Jusque-là orientée vers la France, la coopération décentralisée doit être diversifiée et menée vers d’autres horizons. C’est d’ailleurs le sentiment du président de l’Ams, Aliou Sall, qui encourage les collectivités territoriales à aller, au-delà des pays du Nord, vers les pays du Sud comme la Turquie, l’Afrique du Sud, l’Inde ou encore vers certains pays asiatiques, comme la Chine, etc. Son point de vue est partagé par Amadou Sène Niang. «Il faudra apprendre à diversifier les axes de coopération avec les Etats-Unis aussi, surtout avec la Conférence des maires noirs qui est une grande structure. Il y a aussi les pays asiatiques, le Maghreb et l’intérieur même de l’Afrique», relève-t-il. Cela passe par un accompagnement institutionnel, une formation des autorités pour comprendre les approches, les structures et les outils à utiliser pour bénéficier des multiples apports de la coopération décentralisée. Néanmoins, précise Aliou Sall, la coopération décentralisée ne devrait pas toujours se présenter sous le schéma de la main tendue des pays faibles comme le Sénégal envers les partenaires. Cette position doit être révolue pour évoluer et se présenter en véritable partenaire.

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Un essor  l’absence de pilotage institutionnel

La coopértion décentralisée est freinée dans son plein essor par une absence de pilotage instiutionnel. La non-existence d’une direction en charge de ce volet y est pour quelque chose.

Créée en 2003, puis supprimée par le suite, la direction de la Coopération pouvait jouer un rôle important pour les collectivités territoriales. Seulement, aujourd’hui, sa suppression constitue un éceuil dans la diligence des nombreux projets et partenariats entre les municpaplités du Sénégal et d’autres pays, surtout du Nord. Lors de son passage au Haut conseil des collectivits terriroriales, Amadou Hott, ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, avait préconisé la réactivation de cette direction de la Coopéaration et de Décentralisation pour permettre une meilleure coordination de ce volet très important dans le financement des collectivités territoriales. Selon lui, la coopération décentralisée constitue un des principaux leviers de mobilisation de ressources par les collectivités territoriales.

Aujourd’hui, cette forme de coopération entre municipalités, régions et agglomérations  concerne essentiellement les subventions ou dons de la part des régions et municipalités des pays européens. «Globalement, trois pays partenaires, à savoir la France, l’Italie et l’Espagne, se distinguent dans ce domaine. S’agissant de la coopération décentralisée avec la France, elle concerne plus de 100 partenariats actifs. Sur la période 2015-2018, une enveloppe d’au moins 620 millions de FCfa a été mobilisée par les collectivités territoriales  sénégalaises pour le financement de 32 projets», a informé M. Hott. Pour la coopération décentralisée avec l’Italie, trois grands projets ont été cofinancés en 2017. La première initiative provient de la municipalité de Rimini et  a été lancée dans les régions de Kaffrine, Kaolack et Dakar pour un budget total d’un milliard de FCfa. La région Sardaigne a accordé des subventions à des communes de Matam pour un budget total de 500 millions de FCfa. Quant à la coopération décentralisée espagnole, elle a fait bénéficier au Sénégal d’accords de financement sur la période allant de 2013 à 2016 pour un montrant global de 5 milliards de FCfa. Ces financements ont été accordés par 18 gouvernements régionaux et mairies pour réaliser une  trentaine de projets.

Des financements encore insuffisants

Mais, d’après Amadou Hott, il est important de souligner que les niveaux de financements obtenus au titre de la coopération décentralisée sont encore insuffisants au regard du nombre de bénéficiaires et des possibilités des partenaires internationaux. Pour accroître ces financements, il a suggéré de renforcer la coordination entre les ministères en charge des Finances, des Collectivités territoriales et son département pour davantage prendre en charge les préoccupations, notamment celles liées à l’évaluation des projets et programmes, à la garantie des prêts sollicités et au suivi de toute la chaîne budgétaire locale. Ce renforcement pourrait combler l’éceuil de l’absence de pilotage institutionnel qui est l’un des freins à un plus grand dévélopepment de la coopération décentralisée.

Le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération a aussi préconsié l’élaboration  d’une stratégie nationale de renforcement de la coopération décentralisée pour rationaliser les interventions de l’administration centrale et des collectivités territoriales au niveau des tlocalités. Enfin, il a suggéré la mise en place d’un système d’information centralisé de suivi de l’aide dans le cadre de la coopération décentralisée. Tous ces mécanismes pourront ainsi permettre aux collectivités territoriales de tirer le maximium des opportunités de la coopération décentralisée, surtout en cette période de raréfaction de ressources.

Oumar NDIAYE

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SOUTY TOURE, EXPERT EN DECENTRALISATION

«La Covid-19 a rendu les procédures de financement plus longues»

Ancien ministre de la Décentralisation sous le régime socialiste et ancien maire de Tambacounda, Souty Touré est aujourd’hui membre du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) où son expertise est fort appréciée. Il revient ici sur les péripéties de la coopération décentralisée au Sénégal.

Quelle définition donnez-vous à la coopération décentralisée ?

La coopération décentralisée, ce sont des opérations entreprises par deux ou plusieurs parties. Et dans ce que nous entendons (nous) par coopération décentralisée, c’est une coopération mise en œuvre par une collectivité territoriale avec une autre catégorie qui peut être soit une collectivité territoriale, soit une Ong, ou ce qu’on appelle les organisations et associations non étatiques, qui peuvent être d’autres catégories de l’administration. Donc, la coopération décentralisée est faite entre une collectivité territoriale et d’autres catégories publiques, institutionnelles ou non gouvernementales.

A quand remonte cette forme de partenariat au Sénégal ?

Elle remonte après la Deuxième Guerre mondiale. Les pays ont initié une diversité de relations et éprouvé le besoin de procéder à des échanges, d’abord, pour favoriser la compréhension entre les peuples, l’amitié et la fraternité. Donc, c’était une coopération à contenu immédiat et à relation humaine. En ce qui concerne le Sénégal, il faut dire que pour la coopération décentralisée, les expériences les plus anciennes viennent de Louga en 1962 avec Millau, la ville de Jacques Godfrain. Il y aussi une autre expérience plus ancienne, celle de Thiès et de Caen, d’après ce que l’on m’a dit, du temps où le Président Léopold Sédar Senghor était maire de la ville de Thiès. Il y a eu, ensuite, la coopération décentralisée au Nord entre Lille en France et la ville de Saint-Louis. Donc, aujourd’hui, il y a un portefeuille important de coopération décentralisée, même si nous pouvons faire plus et mieux et plus large.

Quel est l’impact de la crise de la Covid-19 sur la coopération décentralisée au Sénégal ?

Cette forme de coopération nécessite des contacts entre les parties. Or, l’une des conséquences premières de la pandémie de Covid-19, c’est que les gens sont généralement bloqués, confinés. Les échanges ont été beaucoup réduits et les collectivités territoriales, qui recevaient des ressources provenant de la coopération externe, ont vu, parfois, celles-ci se tarir, sinon ralentir du fait des procédures de contrôle, de vérification, d’évaluation, d’attestation, de validation. Ces procédures-là sont mises en œuvre à un rythme beaucoup plus lent.

Propos recueillis par B. B. SANE

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