Le moins que l’on puisse dire pour ce coup-ci (on serait tenté de dire pour ce coup-ci seulement ?), le Conseil constitutionnel a manqué de sagesse et de courage. Alors que tout le monde, enfin le Sénégalais lambda, espérait et souhaitait que les sept « Sages » prendraient leurs responsabilités et renverraient sa mauvaise copie au ministre de l’Intérieur, le très partisan Antoine Félix Diome, voilà qu’ils se contentent d’avaliser ses décisions ! Dont la plus controversée et qui risque de mettre le feu aux poudres est l’élimination de la liste nationale des titulaires de la principale coalition de l’opposition, celle-là même classée deuxième à l’issue des élections locales du 23 janvier dernier.

En donnant l’impression de renvoyer dos à dos la majorité présidentielle et l’opposition à travers le rejet des recours que ces deux blocs avaient déposé l’un contre l’autre en une manière de dire « voyez comme on a été équitables ! », les « Sages » de la haute juridiction sèment au contraire les germes de contestations violentes et de confrontations dans notre pays. Or, le Sénégal n’en a vraiment pas besoin surtout en ces temps de hausse en cascade des prix des denrées de première nécessité, de pénuries annoncées de farine et d’hydrocarbures, de crainte de famine ayant d’ailleurs poussé le président de la République, faisant preuve d’un leadership extraordinaire, à aller plaider la cause de l’Afrique auprès de son homologue russe Vladimir Poutine.

Un jugement de Bouki en lieu et place d’un jugement de Salomon !
En en effet, et où tout peut survenir, ce n’est certainement pas le moment de procéder par exclusion et d’écarter des listes représentatives du scrutin qui se tiendra le 31 juillet prochain. Disons-le clairement : autant la liste nationale proportionnelle de Benno Bokk Yaakar (BBY) ne méritait pas d’être disqualifiée parce que cette coalition aurait déposé plus que le nombre de parrains requis ou qu’elle n’aurait pas respecté la parité dans sa partie réservée aux suppléants, autant il est ridicule d’éliminer la liste nationale de Yewwi Askan Wi au motif qu’une candidate figurait à la fois sur la partie réservée aux titulaires et sur celle dévolue aux suppléants !

C’est franchement trop léger et le Conseil constitutionnel aurait plutôt dû renvoyer encore les listes au ministère de l’Intérieur pour demander aux coalitions concernées de procéder aux corrections nécessaires à défaut pour les « Sages » — on aimerait tant qu’ils le soient ! — de le faire eux-mêmes. Auquel cas le tour était joué puisqu’on n’en aurait plus parlé. Au lieu de quoi, en avalisant la décision du ministre de l’Intérieur d’exclure la liste nationale de Yewwi, il s’en rend complice. Avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir pour la paix sociale et la stabilité de ce pays.

Pour donner une idée du caractère pernicieux, et somme toute dangereux, de l’arbitrage rendu par le Conseil constitutionnel, prenons l’exemple de deux équipes de football devant disputer une finale et qui toutes deux déposent des recours l’une contre l’autre. Si, après avoir reçu leurs recours, la commission de qualification, de règlements et de pénalités (Cqrp), décide de permettre à l’équipe A de jouer le match avec tous ses 11 titulaires tout en disant que l’équipe B, elle, non seulement ne pourra utiliser aucun de ses titulaires mais encore ne pourra aligner sur le terrain que… huit remplaçants, il y a fort à parier que cette Cqrp aurait donné la victoire à l’équipe A bien avant le jour du match !

C’est exactement à cette situation que nous renvoie le Conseil constitutionnel avec sa décision rendue dans la nuit de vendredi à samedi et qui fait en tous points les affaires du pouvoir en place.

Encore une fois, l’attitude la plus… sage, justement, ç’aurait été, comme la première fois, de permettre à toutes les listes de ces deux coalitions rivales et même à celle de Gueum sa Bopp de prendre part à la compétition, à charge pour les électeurs de faire leur choix en toute liberté. Cette option aurait eu le grand mérite de pré- server la paix, de permettre la tenue d’un scrutin apaisé afin que le prochain gouvernement puisse sans délai s’attaquer aux innombrables urgences de l’heure.

Sacré Conseil constitutionnel qui avait pourtant recommencé à gagner la confiance de nos compatriotes aux yeux desquels il était en passe de retrouver grâce. Et voilà qu’en l’espace de quelques jours, il passe du Capitole à la Roche tarpéienne, des cimes de la gloire aux abysses de la déconsidération, des vivats aux huées. On attendait de lui un jugement de Salomon, il a rendu un jugement de Bouki !

Il nous faut prendre garde d’exclure les entités un tant soit peu représentatives des élections et veiller plutôt à être inclusifs car les exemples ont montré hélas que partout où on exclut, les risques de troubles sont grands. Nous devons d’autant plus faire attention qu’au Mali, par exemple, c’est la contestation de l’élection d’une trentaine députés (dont dix du parti au pouvoir) présentée comme procédant de la fraude qui avait entraîné la naissance du mouvement du Mouvement du 5 Juin Rassemblement des Forces patriotiques de l’imam Mahmoud Dicko.
Un mouvement dont les manifestations sont à l’origine du renversement du défunt président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).

A noter que, dans ce pays voisin, la Cour (et non le Conseil) constitutionnel avait validé l’élection de ces 30 députés dont les noms ne figuraient pas sur les listes des élections provisoires. Après les premières manifestations, le président IBK avait annoncé la dissolution « de fait » de cette si singulière Cour à travers l’abrogation de leurs décrets de nomination. Certes, le Sénégal n’est pas le Mali, loin de là, mais enfin faisons attention et veillons à ne pas créer les conditions de la survenue de troubles dans notre cher Sénégal !

Par Mamadou Omar NDIAYE, Le Témoin 

PS: Autant la décision du Conseil constitutionnel de cautionner l’invalidation de liste nationale des titulaires de Yewwi Askan Wi est sujette à caution, pour ne pas dire lâche, autant les déclarations de Ousmane Sonko, leader de la même coalition et appelant à la mobilisation de 200.000 jeunes pour aller déloger de son Palais un président de la République élu démocratiquement et de la plus belle des manières sont irresponsables et méritent d’être condamnées avec toute la fermeté qui sied. Nos opposants, qui aspirent à diriger ce pays, doivent respecter les institutions. C’est le moins que l’on puisse leur demander !

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