C’est dans une rare déclaration commune que les chefs des forces de défense de 12 pays, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Allemagne, ont condamné dans la nuit de samedi à dimanche l’utilisation de la force meurtrière par l’armée birmane contre des civils.

« En tant que chefs d’état-major, nous condamnons l’usage de la force létale contre des personnes non armées par les forces armées de la Birmanie et les services de sécurité associés. Une armée professionnelle suit les normes internationales de conduite et a la responsabilité de protéger le peuple qu’elle sert, non de lui nuire. […] Nous exhortons les forces armées birmanes à cesser la violence et à œuvrer pour restaurer le respect et la crédibilité auprès du peuple de Birmanie qu’elle a perdus à travers ses actions », indique le communiqué conjoint.

Plus tôt, c’est de l’ONU, par la voix de son Secrétaire général, Antonio Guterres, que les condamnations « dans les termes les plus forts », ont émané, évoquant une « tuerie ». Le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est, lui, dit « horrifié » par la « terreur » que font régner les militaires birmans. Son homologue britannique Dominic Raab a estimé que la junte avait franchi un « nouveau palier » dans la répression.

Des sanctions ont également été prises à l’encontre de la junte mais ont peu d’effet sur la junte birmane, qui accorde peu d’importante aux décisions prises par les pays occidentaux. « En revanche, des sanctions de la part de leurs partenaires asiatiques, notamment les pays de l’ASEAN, la Chine, la Corée du Sud ou le Japon, celles-là, pèseraient beaucoup plus. Ce que l’on sait aujourd’hui, après les incendies d’usines chinoises et après l’expression d’un vrai ressentiment antichinois, pékin fait pression, aujourd’hui, sur les militaires. Et là, c’est également un tournant nouveau », analyse Sophie Boisseau du rocher, chercheuse à l’Institut français de relations internationales (Ifri).

Au moins 90 morts, journée la plus sanglante depuis le coup d’État
Samedi, les Birmans sont descendus dans la rue, jour où l’armée organise tous les ans un gigantesque défilé devant le chef de l’armée, désormais à la tête de la junte, le général Min Aung Hlaing. Durant la répression des manifestations, au moins 90 personnes dont plusieurs enfants, ont été tuées. Les forces de sécurité ont ouvert le feu avec parfois des armes automatiques dans plus de 40 villes du pays.

En 1988, plus de 3 000 personnes avaient été tuées. « On sait qu’ils sont prêts à aller assez loin. Ils sont, mentalement prêts à tuer leurs concitoyens pour faire prévaloir leurs intérêts et leur captation de pouvoir », rappelle l’experte.

Cependant, il est difficile de connaître le bilan exact de la répression de samedi, à cause d’une pratique répandue chez les militaires : emporter les corps des blessés et des morts afin de réduire le bilan et de cacher les dégâts faits par leurs armes. De nombreuses familles en sont réduites à cacher le corps de leurs proches afin de pouvoir organiser des funérailles.

Une fillette d’un an a reçu une balle en caoutchouc dans l’oeil, et plusieurs autres, dont un enfant de cinq ans, ont été tués près de leur domicile. Après les manifestations, les réseaux sociaux regorgeaient de vidéos de militaires tirant aléatoirement dans les rues ou dans le dos de simples passants. Cela fait écho à l’annonce faite la veille sur la chaîne de télévision gouvernementale, qui annonçait que l’armée tirerait dans le dos et dans la tête des opposants.

Ce dimanche, à Rangoun, des tirs sont rapportés dans plusieurs quartiers et les services médicaux d’urgence continuent à manquer.

« J’ai de plus en plus peur »
Pour les manifestants, la journée d’hier n’est qu’une preuve supplémentaire que seule une résistance armée aux militaires leur permettra de se défendre. A leurs cocktails Molotov, lance-pierres et boucliers, de plus en plus de ces groupes armés cherchent à ajouter des armes à balles réelles.

Du côté des manifestants, la peur de voir le nombre de morts augmenter est réelle. « Je pense qu’il va y avoir bien plus de morts, car c’est comme ça que l’armée détruit la démocratie pour instaurer sa dictature militaire donc je pense qu’elle va redoubler d’efforts. Les gens ont de plus en plus peur, et la situation ne fait que s’empirer pour nous », confie un manifestant de 24 ans à RFI.

« J’ai de plus en plus peur mais d’un autre côté, j’ai l’impression de m’être réveillé, ajoute-t-il. Des gens meurent tous les jours, et je vais continuer à me battre pour la démocratie, de n’importe quelle façon possible, jusqu’à ce qu’on les fasse tomber, jusqu’à ce que le règne militaire ne soit plus. Beaucoup de gens risquent leur vie, l’éducation de leurs enfants, ils risquent tout, donc nous nous devons d’être courageux. C’est la seule chose que nous puissions faire à présent. »

Le nombre de morts depuis le coup d’État du 1er février est passé à au moins 423, selon l’AAPP, une ONG locale de défense des prisonniers.

« C’est vraiment le pays entier qui proteste »
Malgré la répression des militaires, les Birmans ne comptent pas s’arrêter. « C’est vraiment le pays entier qui proteste. C’est véritablement un nouvel élan qui alimente ce mouvement de désobéissance civile. C’est vraiment un point important, parce que jamais, dans l’histoire récente de la Birmanie, on n’a eu une telle unité contre les exactions de l’armée », analyse Sophie Boisseau du rocher.

« Ils savent d’expérience que, si l’armée est autorisée – entre guillemets – à revenir au pouvoir, ils en prennent encore pour trente à quarante ans. Et cela, ils n’en veulent plus », explique la chercheuse pour expliquer la détermination du peuple birman.

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