Des milliers de personnes ont dû fuir les inondations qui ravagent la région de l’Extrême-Nord, abandonnant leurs terres, leur métier ou leurs études.

Alima, 15 ans, a interrompu ses études en CM2 après avoir fui son village inondé pour se réfugier à Argazama, dans le département voisin.
Alima, 15 ans, a interrompu ses études en CM2 après avoir fui son village inondé pour se réfugier à Argazama, dans le département voisin. Josiane Kouagheu
Chaque matin dès son réveil, Alima, 15 ans, se place à la fenêtre de sa chambre pour regarder les écoliers passer. Durant de longues heures, la jeune Camerounaise s’extasie devant leur uniforme et s’imagine à leur place. Alima a interrompu ses études en 2015, en CM2. Elle rêvait de devenir médecin afin de soigner ses parents, ses frères et sœurs et sa communauté. Mais l’inondation a « complètement brisé » ses ambitions.
Cette année-là, des pluies abondantes ont détruit leur maison à Alvakay II, un village situé dans le département du Logone-et-Chari, dans la région de l’Extrême-Nord, durement touchée par les attaques du groupe djihadiste Boko Haram. A l’époque, sa famille a tout perdu : bétail, vêtements, champs, cahiers, livres… Elle a alors été obligée de se réfugier à Argazama, un village du département voisin du Mayo-Danay, moins inondé. Au début, comme des milliers d’autres déplacés, Alima pensait que la situation était passagère. Elle a très vite déchanté.
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Chaque année, à l’arrivée des pluies, elle voit débarquer en pirogue de nouveaux déplacés. D’après l’Organisation internationale des migrations (OIM), « on compte 1 701 ménages de 12 122 personnes qui se sont déplacés à cause des inondations et désastres naturels en 2019. Pour la totalité de la population mobile, on atteint près de 19 000 individus en 2019 […] Ces chiffres sont évidemment à prendre avec précaution, mais ils donnent une idée de l’ampleur de la situation ». Entre janvier et mai 2020, ce sont « 507 ménages de 4 173 individus qui se seraient déplacés à cause des inondations ou des désastres naturels ».
Reconvertis dans la pêche
Arrivé la même année qu’Alima, Boukar, 19 ans, a eu la chance d’étudier jusqu’en classe de 4e. Mais en 2018, son père a dû choisir entre continuer de payer ses études et nourrir sa dizaine d’enfants. « J’ai pleuré, supplié, promis d’étudier jour et nuit pour devenir enseignant. C’était mon grand rêve. Mais il n’y avait plus d’argent pour le réaliser », explique Boukar. Depuis, le jeune homme s’est tourné vers la pêche, comme son père et la quasi-totalité des déplacés.
« J’ai toujours voulu ce qu’il y a de meilleur pour mes huit enfants. Je voulais qu’ils soient fonctionnaires, médecins ou maires. C’est dur de les voir à la maison », s’attriste Fatime Djibril, la mère d’Alima, qui a récemment été obligée de vendre une partie de ses assiettes et tasses afin d’acheter « un peu de nourriture ». De peur de voir sa fille aînée de 17 ans tomber dans « les pièges de mauvais garçons », Fatime l’a mariée. « Pour la préserver, même si au fond je ne le voulais pas », dit-elle. Alima sait que son tour viendra bientôt. « Si je ne trouve pas d’argent pour aller à l’école, je me marierai », se résigne-t-elle.
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A quelques pas, assis sur une natte à l’ombre d’un arbre, Haman, le père d’Alima, et dix autres hommes, tous rescapés des inondations des villages du Logone-et-Chari, égrènent leurs pertes : bétail emporté, maisons effondrées, champs inondés, cartes d’identité et actes de naissance perdus… Tous ne vivent plus que de la pêche, car ici les terres sont inaccessibles pour ces personnes venues « d’ailleurs ». Lorsque les eaux tarissent, ils vont dans les régions du Sud, de l’Est ou du Littoral pour continuer l’activité halieutique, qui peine pourtant à nourrir leur famille.
« On ne sert plus à rien »
« On a même perdu l’autorité dans notre foyer. Je n’ai plus que des problèmes », chuchote Haman, 45 ans. Près de lui, Yaya, Seini et Issa évoquent le manque de respect des épouses et les multiples querelles quotidiennes. L’un se souvient douloureusement de son divorce avec sa troisième femme, qui ne supportait plus « la pauvreté ». « On ne peut plus leur acheter des pagnes et scolariser les enfants. On ne sert plus à rien », se désole Moussa, marié à deux femmes et père de huit enfants.

En septembre, face à l’ampleur des inondations, une délégation interministérielle s’est rendue dans l’Extrême-Nord, promettant la distribution de vivres et la construction prochaine de digues pour canaliser les eaux. Haman, comme les autres, ne croit plus en ces promesses. En 2015, ils disent avoir reçu des bâches, du mil et des haricots du gouvernement. « On ne veut plus de nourriture, on veut qu’ils construisent des digues », implore Seini.

Voile noire intégral, Alima Boukar, 20 ans et deux enfants, vit « une douleur interne ». Cette femme originaire de Sara-Sara, un autre village du Logone-et-Chari, s’est mariée à l’âge de 17 ans pour « fuir les eaux » qui avaient détruit sa maison. « Je constate que ce n’est pas mieux ici, déplore la jeune femme. Il y a trop de famine. » Mais comme les autres, coincée entre les inondations et les attaques de Boko Haram, elle n’a pas d’issue.

Josiane Kouagheu(Argazama, Cameroun, envoyée spéciale)

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