C’est devenu un rituel : tous les week-ends, Binta profite de ma présence à la maison pour me bombarder de toute sorte de questions. Le plus souvent, c’est après avoir lu un article, entendu ou vu quelque chose à la télévision. En fait, ma fille est comme ça depuis toute petite, manifestant un réel intérêt sur le boulot de Papa : le journalisme, les journalistes, l’information, sa fabrication, etc…
C’est ainsi que le samedi dernier, mon chérubin est tombé sur une de mes chroniques parue dans les colonnes du quotidien national intitulée « Le journalisme à l’heure de la désinformation ». La lecture du papier terminée, elle s’est précipitée, comme d’habitude, pour aller me trouver au Salon. « C’est quoi la désinformation ? », m’interrogea-t-elle ? « Une fausse information », répondis-je. Elle renchérit : « Tu m’as toujours dit que le journaliste donne l’information. Et, il est le seul qui est habilité à le faire ». « C’est vrai mais….. ». S’en suivent alors de riches échanges. Un cours magistral. Il fallait faire comprendre à Binta que les sources d’informations sont actuellement nombreuses et variées : journaux, radios, télévisions, sites d’information, réseaux sociaux… tous ces canaux sont des machines à infos. Et que malheureusement des personnes malintentionnées, des cybercriminels, ont désormais envahi ce terrain de l’information.
Propageant fausses informations et propagandes en vue de manipuler l’opinion. J’ai surtout fait savoir à la petite en classe de CE2 que le grand danger vient de cette nébuleuse incontrôlable qu’est Internet. Qui permet à tout un chacun de prendre la plume, images, audios et vidéos et de rapporter les faits sans les œillères réglementaires dont sont dotés les journalistes professionnels. « D’accord. Comment faire alors pour ne pas tomber dans le piège ? », revient à la charge mon ange. « Être vigilant, toujours vérifier avant de se faire une idée », ai-je dis pour enfin rassurer la petite. Un aveu : j’ai été pris de court par autant de questions. Certainement vous aussi. Et pourtant, rien de surprenant. Depuis quelques années, nos enfants viennent au monde avec un, deux ou plusieurs écrans sous les yeux. Ils manœuvrent les commandes et pilotent leur propre accès à la « nourriture audio-visuelle », plus rapidement consommable que n’importe quel fast-food. Que faire dans un tel contexte de profusion de fausses nouvelles, de messages sonores et visuels, explicites et implicites ? C’est simple, il faut miser sur l’éducation nationale.
L’expérience avec Binta montre qu’il est possible de passer par l’école républicaine pour initier élèves, collégiens et lycéens aux techniques de fabrication des médias qui doivent être enseignées au même titre que l’histoire ou la géographie. L’idée est de leur permettre de comprendre le langage de l’image, les procédés utilisés pour « dire » et « faire entendre » au lecteur, spectateur et auditeur le message qui lui est adressé. Il s’agirait aussi de leur donner à connaître les logiques qui président à la gestion d’une entreprise de production. En somme, il s’agit de donner accès aux enfants, avenir de la planète, à toutes les connaissances techniques, économiques voire politiques qui participent à la fabrication et à la diffusion des informations qui leur sont quotidiennement servies.
L’enjeu est énorme : nous vivons dans un monde où il est plus que jamais difficile de faire la différence entre l’information exacte et la publicité, la désinformation et la parodie, et où il est facile pour chacun d’entre nous de produire et de diffuser des informations. Un tel contexte, à la fois chance et risque pour les enfants, ne nous laisse véritablement pas le choix, nous obligeant à élaborer urgemment un projet de formation et d’apprentissage qui doit mobiliser toute la communauté éducative du pays. Avec un but précis : armer nos enfants et bien les équiper pour les aider à se servir et à faire bon usage des médias qui informent, manipulent et transmettent savoirs, attitudes et toutes sorte de valeurs. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn