Les principaux partis d’opposition, en ordre dispersé depuis la dernière présidentielle, semblent se rapprocher depuis qu’a éclaté l’affaire Sonko. Alliance de circonstance ou prémices d’une future coalition ?

Ils sont apparus côte à côte et assortis pour l’occasion. Tout de blanc vêtus, Ousmane Sonko et Khalifa Sall ont donné mardi une conférence de presse conjointe, au cours de laquelle ils ont affiché une même posture d’unité et de combat. « Khalifa Sall est un exemple patent des dérives dictatoriales de Macky Sall, a lancé Ousmane Sonko. Nous ne pouvons pas lui permettre de réitérer ces coups en fomentant un complot contre nous. Il est temps que toutes les forces vives de la nation défendent la démocratie sénégalaise. À Pastef, nous voulons travailler avec tout le monde, mais nous n’attendons personne. C’est le peuple qui attend. »

Depuis qu’il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire, le 8 mars dernier, le leader du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) multiplie les déplacements. Auprès des personnalités qui lui ont affiché soutien et sympathie, d’abord. Auprès, ensuite, des personnes blessées lors des manifestations qui ont éclaté à la suite de son arrestation, le 3 mars dernier. Mais aussi, quoique plus discrètement, auprès de certains des dignitaires religieux impliqués dans les actions de médiation avec le gouvernement.

Front uni

Accusé de viols et de menaces de mort par Adji Sarr, une jeune Sénégalaise employée d’un salon de massage qui a réitéré ses accusations au cours d’une allocution télévisée le 17 mars, Ousmane Sonko bénéficie du soutien d’une très large partie de l’opposition et de plusieurs organisations de la société civile, qui crient au complot et mettent en doute l’indépendance de la justice.

Ousmane Sonko a notamment rendu visite au mouvement Frapp-France dégage (dont le leader, Guy Marius Sagna, est toujours en prison), au Grand parti de Malick Gackou ou encore au Parti démocratique sénégalais (PDS, d’Abdoulaye Wade). Ces derniers jours, l’opposition semble avoir trouvé l’occasion de donner corps à ce « front uni » contre Macky Sall qu’elle tente de constituer depuis plusieurs mois. Et, par la même occasion, de surmonter le coup dur qu’aa été pour elle l’annonce de transhumance de plusieurs de ses membres, en novembre dernier.

Cela n’a rien d’une coïncidence si le PDS a décidé, deux jours seulement après l’arrestation d’Ousmane Sonko, de rejoindre le Front de résistance nationale (FRN) avec lequel il avait pourtant pris ses distances au lendemain de la dernière élection présidentielle, estimant que le FRN s’était « compromis » avec le pouvoir (c’était peu de temps avant qu’Idrissa Seck, arrivé deuxième du scrutin, et Oumar Sarr, ancien numéro deux du PDS, ne rejoignent la majorité).

NOUS AVONS COMPRIS QUE POUR SURVIVRE EN TANT QUE FORMATION POLITIQUE, IL NOUS FALLAIT NOUS UNIR. »

En ordre de bataille

Lundi, la direction du Pastef a donc rencontré celle du PDS au siège de ce dernier. « Le Pastef nous a fait une offre d’unité politique, explique Assane Ba, membre du comité directeur du PDS. Elle pourrait aller jusqu’à une alliance électorale ». Et le PDS en a profité pour rappeler ses exigences, dont « la libération immédiate de tous les prisonniers politiques » et, bien sûr, « le retour sans délai dans le pays de Karim Wade, exilé de force au Qatar ».

Une coalition pourrait-elle être envisagée ? « Les discussions sont en cours, mais il est évident que nous allons vers cela, si nous procédons étape par étape », répond Assane Ba, qui espère que l’opposition décrochera la majorité des sièges au Parlement lors des législatives de 2022.

« Les démêlés du Pastef avec la justice font partie d’un complot ourdi contre tous les opposants significatifs. Nous avons compris que pour survivre en tant que formation politique, il nous fallait nous unir », poursuit Assane Ba.

Le Pastef est-il sur la même ligne ? « Ce sont des contacts, qui ne sont pas destinés à nous mener vers une coalition », nuance Bassirou Diomaye Faye, cadre du parti de Sonko, qui préfère parler de « visites de remobilisation de l’opposition ». Autrement dit : ils ont un même but – tourner la page Macky Sall – mais une alliance électorale à proprement parler n’est pas envisagée. Les équipes d’Ousmane Sonko, qui se sentent – plus que jamais ? – en position de force, galvanisées par les marques de soutien et de sympathie qu’elles reçoivent, ajoutent qu’il est trop tôt pour parler de coalition. « Mais le respect du calendrier électoral ou le rétablissement des droits de Karim Wade et Khalifa Sall sont des points sur lesquels nous pouvons travailler dès à présent », précise Bassirou Diomaye Faye. Le Pastef n’a pas oublié les écueils contre lesquels l’opposition s’est souvent heurtée.

Erreurs passées

Mardi, Khalifa Sall a appelé ses potentiels alliés à tirer les leçons des dernières législatives. « Il ne faut pas répéter l’erreur de 2017, lorsque l’opposition était partie en ordre dispersé et n’avait récolté que peu de députés », a-t-il déclaré. À l’époque, la coalition Manko Wattu Sénégal, qui rassemblait le PDS d’Abdoulaye Wade et les partisans de Khalifa Sall, n’avait pas résisté aux prétentions des deux leaders, qui entendaient chacun être têtes de liste. L’alliance avait implosé et la coalition présidentielle avait raflé l’essentiel des sièges. « Si nous n’avions pas commis cette erreur, nous n’en serions pas là aujourd’hui », a regretté Khalifa Sall.

Et quel rôle pourrait jouer le Mouvement de défense de la démocratie (M2D), qui a été à la pointe de la contestation lorsque les émeutes ont éclaté, au début du mois de mars ? « Le M2D est très hétéroclite, sans projet politique autre que celui de porter la colère, explique l’une de ses représentantes, Ndeye Fatou Blondin Diop, ancienne ministre d’Abdoulaye Wade, qui fut membre de la coalition Jotna d’Ousmane Sonko. Le M2D s’est greffé à ce qui était l’embryon d’une mobilisation. » Elle décrit les efforts menés depuis plusieurs mois pour créer, vaille que vaille, un cadre politique qui permette de faire front contre Macky Sall, liant le Pastef, le FRN et les partisans de Khalifa Sall.

« De là à dire que les partis politiques pourraient être renforcés [par cette séquence], c’est sans doute un peu tôt. Mais le travail de sape contre Sonko, qui a été radié, diabolisé, critiqué, c’est aussi ce qui l’a renforcé », affirme Ndeye Fatou Blondin Diop. Qui veut croire que les évènements de ces dernières semaines entraîneront un regain de mobilisation : « Certains traînaient les pieds pour rejoindre le front de l’opposition. Mais aujourd’hui, les choses pourraient s’accélérer. »

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